Produire moins de viande? Pas si facile

Il serait plus approprié de parler de transformation de l’ensemble de la production agricole, selon l’Agroscope, un organisme de recherche fédéral.
Il serait plus approprié de parler de transformation de l’ensemble de la production agricole, selon l’Agroscope, un organisme de recherche fédéral. Pexels/Jaclou
Pierre Cormon
Publié lundi 11 août 2025
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#Agriculture L’élevage est une manière souvent critiquée de produire des calories. Il a notamment de nombreux impacts environnementaux négatifs. Réduire son importance n’est cependant pas facile.

Émissions de gaz à effet de serre, déforestation, consommation massive d’eau douce dont une partie s’évapore, recours à des engrais dont la production repose sur des quantités énormes d’énergies fossiles: l’impact environnemental de l’agriculture l’a logiquement placée dans le viseur des tenants de la décroissance.

C’est notamment l’élevage qui est remis en cause. Alors qu’il ne fournit que 13 % des calories ingérées par les humains, il utilise environ deux tiers des terres agricoles mondiales. Les calories des produits animaux viennent à l’origine des produits végétaux – tourteau de soja (produit dérivé du soja), herbe, mélasses, graines, déchets agricoles ou fourrages que les animaux ont mangés.

Or, il faut plusieurs calories végétales pour produire une calorie animale : huit en moyenne pour le bœuf, deux pour le poulet. Une partie substantielle des terres arables est donc destinée à l’alimentation du bétail (environ 40 %), en plus des prairies et des pâturages.

Effet de serre

L’élevage cause également davantage d’émissions de gaz à effet de serre que le chauffage ou l’aviation. Sans compter les autres impacts environnementaux, tels que la déforestation, la perte de biodiversité, les rejets de nitrates ou d’ammoniac, ou encore les maladies transmises aux humains – le monde vit toujours sous la menace d’une pandémie de grippe aviaire. Enfin, l’opinion publique de nombreuses régions est de plus en plus sensible à la souffrance infligée aux animaux de rente.

Une alimentation réduisant sensiblement la part de produits animaux permettrait de ménager l’environnement et de diminuer l’utilisation de terres agricoles. En Suisse, la consommation de viande devrait baisser de 70 % pour limiter au maximum les impacts environnementaux sans péjorer la qualité de l’alimentation, a calculé en 2018 l’Agroscope, un organisme de recherche fédéral.

Davantage de protéines pourraient être obtenues de sources végétales, comme le soja ou les légumineuses. C’est cependant plus facile à dire qu’à faire : une partie substantielle de l’élevage prend place sur des terres qui ne se prêtent pas à d’autres types d’agriculture. Au Royaume-Uni, c’est le cas des deux tiers de la surface agricole ; en Suisse, d’environ 60 %.

Terres arables

Le potentiel peut paraître plus important sur les terres arables. Environ 60 % d’entre elles, en Suisse, sont consacrées à la production d’alimentation pour les animaux (céréales fourragères, maïs ou prairies temporaires). Cette emprise massive ne fournit cependant qu’environ la moitié des aliments qui leur sont nécessaires ; l’autre moitié est importée.

L’élevage et la production végétale sont étroitement imbriqués. Trois quarts des exploitations agricoles suisses utilisent par exemple des engrais de ferme (déjections animales) sur leurs terres, ce qui réduit la dépendance de la Suisse aux engrais minéraux importés.

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L’agriculture suisse pratique la rotation des cultures, ce qui permet d’empêcher les ravageurs de proliférer sur une parcelle dont la culture leur convient. Des prairies temporaires où paît du bétail sont souvent intégrées à cette rotation. Cette pratique est bénéfique: «Elle permet d’améliorer la structure et la fertilité du sol et de réduire l’utilisation des engrais minéraux, explique l’Agroscope. Elle permet aussi de réduire l’apparition de mauvaises herbes et l’utilisation de produits phytosanitaires, de stocker du carbone, de réduire l’érosion du sol et de fournir des ressources pour les pollinisateurs.»

Gaspillage alimentaire

Les animaux de rente peuvent également être nourris avec les produits issus du gaspillage alimentaire – ils en consomment quelques pourcents à peine en Suisse, mais cette proportion pourrait augmenter.

Des pistes pour désimbriquer productions végétales et animales existent. L’azote fourni par les engrais de ferme peut être apporté par d’autres plantes, comme des légumineuses. Elles en fournissent déjà environ 20 %, notamment grâce aux prairies temporaires destinées au bétail.

Le potentiel de progression est cependant faible, estime l’Agroscope. Les légumineuses ne peuvent en revanche pas apporter du phosphore et du potassium, également essentiels pour les plantes. Réduire la quantité d’engrais de ferme obligerait donc à en apporter davantage de l’extérieur.

Les résidus actuellement consommés par les animaux pourraient être utilisés pour produire du biogaz, mais: «Il ne s’agit pas de la méthode la plus durable pour valoriser ces produits, prévient l’Agroscope. Selon la hiérarchie des déchets dans l’économie circulaire, les stratégies de gestion des déchets alimentaires les plus recommandées sont, par ordre de priorité : la réduction, la redistribution, l’alimentation animale, la digestion anaérobie, le compostage, l’incinération et l’enfouissement sanitaire.»

Transformation profonde

 

Passer à une alimentation essentiellement végétale constituerait donc une transformation profonde et difficile à mettre en œuvre. D’autant plus que l’agriculture est étroitement liée à l’endroit où elle se trouve, et que ce qui fonctionne quelque part ne marche pas nécessairement ailleurs.

«Il serait plus approprié de parler de transformation de l’ensemble de la production agricole, conclut l’Agroscope. Les animaux de rente, les surfaces destinées à leur alimentation, ainsi que l’utilisation pour l’affouragement de produits issus de la transformation des aliments permettent de clôturer les cycles de nutriments et apportent d’importants services écosystémiques.»

De plus, les consommateurs votent avec leur fourchette… et, à l’échelle mondiale, en direction totalement opposée. Alors que le Terrien moyen consommait environ 23 kg de viande en 1961, il en consomme aujourd’hui 43 kg (49 kg s’il vit en Suisse), sans compter les œufs et les produits laitiers.

Cette évolution est notamment portée par l’Asie, où la consommation croît à un rythme rapide, qui fait plus que contrebalancer l’évolution de pays comme la Suisse, où elle diminue. « La meilleure solution consiste à augmenter la consommation de viande, d’œufs et de produits laitiers dans les pays les plus pauvres et à la réduire drastiquement dans les pays développés, conclut le biochimiste et cuisinier Anthony Warner dans son ouvrage Ending Hunger. À un moment donné, la consommation devrait se situer à un niveau intermédiaire, qui équilibrerait la santé planétaire et individuelle. Nous sommes encore loin de connaître ce niveau», ajoute-t-il. «Ni le moyen d’y parvenir, ni celui de convaincre l’humanité de prendre ce chemin.»

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