Mercosur, ou la bouffée d’air dont nos entreprises ont besoin

Certaines filières suisses, celles du vin et de la viande, notamment, redoutent l’accord.
Certaines filières suisses, celles du vin et de la viande, notamment, redoutent l’accord.
Daniella Gorbunova
Publié vendredi 03 octobre 2025
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#Economie L’accord de libre-échange entre les pays du Mercosur et l’AELE a été signé le 9 septembre. Décryptage des perspectives qu’il offre.

Il aura fallu de longues années pour parvenir à un accord, et voilà qu’il arrive à point nommé. Les discussions entre l’Association européenne de libre-échange (AELE) - qui groupe la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein - et le Mercosur, formé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay, avaient débuté en 2017. Deux ans plus tard, un accord de principe était trouvé, mais plusieurs points sensibles restaient à régler. Face à une Union européenne qui a annoncé son propre traité fin 2024, l’AELE a finalement concrétisé le sien, que le Conseiller fédéral chargé de l’économie, Guy Parmelin, a paraphé à Rio de Janeiro le 9 septembre dernier. Les pays du Mercosur comptent plus de deux cent septante millions d’habitants et offrent un marché particulièrement attractif pour l’industrie exportatrice suisse.

Rien qu’en 2024, la valeur des exportations helvétiques vers la région (hors or) a dépassé quatre milliards de francs, soit une progression de plus de 30% en dix ans, contre environ sept cent cinquante millions d’importations. Pour Genève, en particulier, les exportations sur la même période se chiffrent à cent trois millions de francs, contre des importations s’élevant à dix-neuf millions de francs.

L’accord prévoit la suppression progressive des droits de douane jusqu’à présent en vigueur sur près de 95% des biens industriels exportés par l’AELE. Des taxes particulièrement élevées jusqu’à présent, surtout au Brésil, qui se trouve aussi être le meilleur client de la Suisse parmi ces pays sud-américains: jusqu’à 20% pour les machines, 18% pour les produits chimiques, 35% pour le textile et 20% pour l’horlogerie. Pour l’agriculture, certains tarifs dépassent 50%.

En contrepartie, la Suisse a consenti à accorder des contingents tarifaires sur certains produits agricoles. Mais «la plupart des contingents ont été fixés à des niveaux équivalents ou inférieurs aux volumes déjà importés depuis le Mercosur, limitant ainsi l’impact sur l’agriculture helvétique», peut-on lire dans une analyse réalisée par la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève, publiée fin septembre.

Une éclaircie après l’orage américain

Dans un monde de plus en plus instable, marqué par la montée du protectionnisme économique - incarné notamment par le désastre des droits de douane américains -, l’accord AELE–Mercosur arrive tel une éclaircie après l’orage, un arc-en-ciel après la pluie. «Le Groupement des Entreprises Multinationales a toujours été un fervent défenseur des accords de libre-échange, en raison de leurs bénéfices économiques positifs largement reconnus et documentés», rappelle Larissa Robinson, sa secrétaire générale, également secrétaire patronale au département des associations professionnelles de la FER Genève. «Ces accords offrent l’occasion cruciale de diversifier nos relations commerciales et d’explorer de nouveaux marchés porteurs, compensant ainsi la contraction des opportunités sur le marché nord-américain. Cette diversification géographique et sectorielle renforce la résilience économique de la Suisse et réduit sa dépendance à l’égard d’un nombre limité de partenaires commerciaux, tout en ouvrant de nouvelles perspectives de croissance à long terme», observe-t-elle. Au-delà des chiffres, elle y voit aussi une dimension politique. «Il s’agit également de partager nos valeurs.»

Même son de cloche du côté de la CCIG. «Cet accord illustre à quel point la Suisse a besoin de diversifier ses relais de croissance. Notre économie repose sur son ouverture au monde: deux emplois sur trois dépendent de l’exportation. Or, nos entreprises ont été frappées de plein fouet par la contraction économique mondiale et par les droits de douane américains imposés de manière indue», relève son directeur. L’ouverture du marché du Mercosur, qui représente des millions de consommateurs, constitue ainsi un nouveau levier de croissance. En plus de l’accord de libre-échange avec le Mercosur, ce 1er octobre est entré en vigueur – sans référendum – l’accord de partenariat économique avec l’Inde. Après seize ans de négociations, il donne à la Suisse accès à un marché de 1,4 milliard d’habitants. C’est aussi une victoire majeure!

Suffisant pour compenser les nouveaux rapports de force avec les Etats-Unis? Pas complètement, mais cet accord reste en ce moment particulièrement salvateur. Ces accords avec le Mercosur et l’Inde ne pallient pas les difficultés que la Suisse rencontre avec les États-Unis - où le pouvoir d’achat des consommateurs est effectivement plus élevé. Cependant, dans le climat actuel, ils traduisent une vraie volonté d’ouverture et offrent des débouchés précieux pour les exportateurs.

Cap sur le Brésil

Au sein du Mercosur, le Brésil constitue le principal partenaire de la Suisse. En 2024, il concentrait 1,7 milliard de francs d’exportations suisses de services (73,9% du total vers le bloc) et 821 millions d’importations (48,3%). Les investissements directs helvétiques dépassaient vingt milliards de francs en 2023.

Pour les industries suisses frappées par les nouvelles taxes américaines, le marché brésilien est une solution stratégique. Mais comme le relevait Le Temps en avril 2025, dans un article plutôt optimiste quant à l’avenir de la medtech suisses, «les fabricants suisses d’implants, de valves cardiaques et autres pompes à insuline», par exemple, «font partie des sociétés qui sont frappées de plein fouet par la première hausse de droits de douane décrétée par Washington». Le quotidien notait déjà que, sans pour autant pouvoir complètement rivaliser avec le marché américain, «le plus grand pays d’Amérique du Sud et ses deux cent quatorze millions d’habitants suscitent un intérêt croissant auprès des exportateurs et des investisseurs en quête de nouveaux débouchés». Aujourd’hui, les entreprises suisses présentes au Brésil exportent surtout des médicaments et traitent des matières premières. Mais le pays attire aussi de nouveaux acteurs: les fabricants de dispositifs médicaux, dentaires ou d’implants. Avec une frange de la population aujourd’hui devenue très aisée, qui peut et veut s’offrir des traitements médicaux non-remboursés, et l’apparition progressive d’une vraie classe moyenne, le Brésil dispose du huitième marché mondial de la santé, ce qui en fait une cible de plus en plus intéressante pour les sociétés suisses de medtech.

Salutaire pour les secteurs clé suisses

Les exportations suisses vers le Mercosur, restées globalement stables pendant une décennie, ont nettement progressé après la pandémie, pour atteindre un niveau record en 2024. Dans le même temps, les importations sont demeurées faibles et constantes, ce qui maintient une balance commerciale largement favorable.

À rappeler aussi que la structure des exportations reflète la spécialisation helvétique dans les biens à forte valeur ajoutée. En 2024, près de 80% des exportations vers le Mercosur relevaient de la chimie et de la pharmacie, représentant plus de trois milliards de francs. L’horlogerie, les machines et le textile complétaient ce tableau.

Problème: ce sont précisément ces secteurs qui souffraient de droits de douane élevés. Jusqu’à 20% pour l’horlogerie au Brésil, et de 14% à 20% pour les machines, par exemple. La suppression progressive de ces barrières devrait donc renforcer directement la compétitivité. En particulier l'exportation de l’horlogerie genevoise. «Pour Genève, où l’horlogerie représente 59% des exportations, la suppression des droits de douane sur les montres au Brésil constitue un levier stratégique», souligne la CCIG.

En sens inverse, l’analyse note que les exportations du Mercosur vers la Suisse s’inscrivent dans un schéma classique nord–sud, dominé par les produits agricoles. En 2024, environ 75% des importations suisses en provenance de la région concernaient l’agriculture, la sylviculture et la pêche, pour une valeur de cinq cent septante millions de francs. Cette répartition confirme que les concessions accordées par la Suisse en matière de contingents agricoles restent limitées par rapport à l’ampleur des gains pour son industrie exportatrice.

Viande et vin: inquiétudes contenues

On l’a lu dans les médias, ces derniers mois: certaines filières suisses redoutent l’impact de l’accord. Parmi elles, le secteur de la viande et celui du vin - un sujet délicat en Suisse, alors que la consommation de ce dernier au niveau national baisse d’année en année (de 7,9% en 2024). Le secteur viticole a été l’un des premiers à réagir à l’annonce de l’accord. Comme le rapportait la RTS après la signature de l’accord par Guy Parmelin, «les vignerons et les encaveurs redoutent la suppression des taxes sur les vins argentins».

Des craintes à relativiser. Les Suisses ne sont pas particulièrement adeptes de vins sud-américains et il est peu probable que cela change du jour au lendemain. Pour preuve, le contingent global de vin - c’est-à-dire la quantité pouvant désormais être importée avec des droits de douane préférentiels - n’a pas été rempli ces dernières années. Cela signifie que la part réellement importée a représenté environ 80% du quota jusqu’à ce jour. De quoi nuancer la perspective d’un afflux massif de bouteilles argentines sur le marché suisse.

La filière de la viande a elle aussi exprimé quelques réserves. Dans un communiqué diffusé en juillet dernier, Proviande, l’interprofession suisse de la filière viande, alertait sur une possible augmentation des importations de bœuf argentin ou de poulet brésilien, qui seraient produits selon des standards moins exigeants que ceux de la Suisse. L’organisation a rappelé que les éleveurs helvétiques doivent respecter des règles strictes: interdiction des hormones de croissance, encadrement de l’utilisation des antibiotiques, normes sévères en matière d’élevage et de transport, notamment. «Il sera décisif de savoir si et comment le respect des critères de durabilité et de bien-être animal convenus sera contrôlé lors de l’exécution», insiste Proviande.

Crainte exagérée

Ces réserves sont toutefois relativisées par les autorités et les milieux économiques. Interrogé à ce sujet par la RTS, Guy Parmelin a rétorqué que «c’est une crainte exagérée. Ce sont de petits contingents qui sont accordés et qui consolident la situation actuelle que nous connaissons». Le quota de bœuf importable à droits préférentiels a été fixé à trois mille tonnes, alors que la Suisse en a déjà importé quatre mille vingt-six en provenance du Mercosur en 2024. Autrement dit: le volume réellement autorisé reste inférieur aux importations habituelles, ce qui limite fortement l’impact de l’accord sur le marché suisse de la viande.


Petite histoire du Mercosur

Le Mercosur - Mercado Común del Sur en espagnol, Marché commun du Sud en français - est l’un des principaux blocs économiques de l’hémisphère sud. Créé par le traité d’Asunción en mars 1991, il est entré en vigueur en 1995. L’objectif? Assurer la libre circulation des biens, des services et des personnes, établir un tarif extérieur commun et rapprocher les politiques économiques des pays membres. Quatre-vingts pour cent du PIB sud-américain Né d’une alliance entre le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay, le Mercosur a intégré par la suite le Venezuela (en 2012, suspendu depuis 2017) et la Bolivie, devenue membre à part entière en décembre 2023. Il représente plus de 80% du PIB sud-américain et reste le quatrième bloc commercial mondial par volume d’échanges. Depuis sa création, le Mercosur a élargi ses compétences: accords commerciaux avec l’Union européenne, l’Inde, Israël ou encore des pays d’Afrique australe. Il a également instauré le Fonds pour la convergence structurelle afin de soutenir ses pays les plus vulnérables. Au-delà du commerce, le Mercosur se veut aussi garant de règles démocratiques et s’inscrit dans une dynamique plus large d’intégration sud-américaine, notamment via la Déclaration de Cuzco (2004) qui projetait une Union des nations sud-américaines. Aujourd’hui, cette zone économique est devenu un acteur incontournable dans les négociations commerciales mondiales.

Membres permanents Argentine (1991), Bolivie (2023), Brésil (1991), Paraguay (1991), Uruguay (1991), Venezuela (adhésion 2012, suspendu depuis 2017)

Membres «associés» Chili (1996), Colombie (2004), Équateur (2004), Guyane (2013), Pérou (2003), Suriname (2013)

Observateurs Mexique, Nouvelle-Zélande  

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Publié vendredi 03 octobre 2025
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