La conscience de la finitude du monde n’a donc pas conduit à opter pour la décroissance, mais plutôt à remettre sur le devant de la scène l’idée que dorénavant, c’est chacun pour soi...
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Pierre Cormon
Publié jeudi 14 août 2025
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#Histoire
Lorsque l’humanité prend conscience que les ressources sont limitées, chacun veut en contrôler sa part au détriment des autres, montre un historien.
Les présidents américains ou de la République populaire de Chine et les tenants de la décroissance ont au moins un point en commun: tous considèrent que les ressources naturelles ne sont pas infinies. Ils n’en tirent cependant pas la même conclusion, comme le montre l’économiste et historien du capitalisme Arnaud Orain dans son ouvrage Le monde confisqué.
Pour bien comprendre le tournant qui est en train d’être pris sous nos yeux, un détour par l’histoire s’impose. Le capitalisme, depuis le début de l’ère moderne, a alterné deux phases, estime l’auteur.
Il y a eu le capitalisme libéral, caractérisé par des marchés ouverts, une concurrence relativement libre et un commerce maritime protégé par la puissance hégémonique – la Grande-Bretagne au XIXᵉ siècle et les États-Unis à partir de 1945. Dans ces périodes, on considère que le commerce est mutuellement bénéfique. On le favorise donc au maximum, notamment en abaissant les barrières comme les droits de douane. Plus on échange, plus le gâteau grandit, juge-t-on. C’est tout l’esprit du libre-échangisme du XIXᵉ siècle ou de celui promu par l’Organisation mondiale du commerce.
Finitude
L’autre phase est ce qu’Arnaud Orain appelle le capitalisme de la finitude. L’idée s’impose que les ressources existent en quantité limitée et qu’«il n’y en a pas pour tout le monde».
C’est l’état d’esprit qui prévalait en Europe du XVIᵉ au XVIIIᵉ siècle, après que l’on avait très largement terminé d’explorer le globe. Ou à la fin du XIXᵉ siècle, quand les Européens se lancent dans une immense entreprise coloniale.
Le gâteau a une taille fixe et on ne peut accroître sa part qu’au détriment de celle des autres, estime-t-on. Il faut donc mettre la main sur les ressources disponibles pour qu’elles ne tombent pas sous leur contrôle.
Pour cela, tous les moyens sont bons. Les compagnies marchandes du XVIIᵉ siècle (Compagnie des Indes, etc.) jouissent de monopoles légaux et exercent bon nombre de fonctions traditionnellement dévolues aux États. Elles sont fortement militarisées et recourent volontiers à la violence pour s’assurer le contrôle des ressources.
On retrouve ce fonctionnement à partir du XIXᵉ siècle, notamment avec la colonisation de l’Afrique, qui donnera lieu à des pratiques d’une violence extrême contre les populations locales.
De retour
Et aujourd’hui? On constate la montée de pratiques fortement similaires à celles qui prévalaient lors des deux précédentes périodes du capitalisme de la finitude, estime Arnaud Orain.
Les grandes puissances ont pris conscience que les ressources étaient en quantité limitée et cherchent à sécuriser leur approvisionnement, non par le marché libre, mais par le contrôle direct. On achète des ports et des terres arables à l’étranger, on cherche à repousser ses frontières maritimes, on parle de prendre le contrôle de pays jusque-là amis.
Le libre-commerce n’a plus la cote, comme Donald Trump le manifeste jusqu’à la caricature. Quant à la Chine, si elle se fait l’avocate du libre-échange sur la scène internationale, elle n’en cherche pas moins à consolider son approvisionnement à travers le projet des nouvelles routes de la soie. Elle préfère contrôler les infrastructures qui concourent à son approvisionnement que de s’en remettre au libre-marché.
Militarisation
Des entreprises exercent de plus en plus de monopoles ou d’oligopoles de fait, ce qui leur permet d’exercer des fonctions traditionnellement réservées aux États. Starlink détermine qui peut avoir accès à son réseau de satellites, Meta fixe elle-même les frontières de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.
La séparation entre marines marchande et militaire s’estompe de plus en plus. Des bateaux marchands s’arment contre les pirates, voyagent en convoi sous la protection de la marine militaire de leur pays. Des navires de commerce sont aménagés pour pouvoir aussi déplacer troupes, chars, hélicoptères, participent à des exercices militaires, etc.
Des systèmes d’armes pouvant être chargés sur des conteneurs sont développés par les grandes puissances. «Tout navire pouvant transporter un conteneur devient une menace potentielle», écrit Arnaud Orain. «Des cibles éloignées qui étaient auparavant protégées par la distance pourraient être atteintes avec des bâtiments indétectables, puisqu’étant considérés comme des navires de commerce.»
Avantage chinois
Dans ce contexte, la Chine a l’avantage, grâce à sa vision à long terme et à sa marine marchande beaucoup plus fournie que celle des États-Unis. Quant à ces derniers, ils ne sont plus en mesure d’assurer le libre-commerce sur les mers, comme le montrent les attaques régulières en mer Rouge.
La conscience de la finitude du monde n’a donc pas conduit à opter pour la décroissance, mais plutôt à remettre sur le devant de la scène l’idée que dorénavant, c’est chacun pour soi.
Comment les petits pays fortement tournés vers l’extérieur peuvent-ils s’en tirer dans ce contexte? Le livre n’aborde pas la question. On peut cependant suggérer qu’ils ont tout intérêt à soigner leurs rapports avec leurs grands voisins et à privilégier les relations basées sur le droit – qui protège d’abord le plus faible.
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