#Technique
La branche économique, qui recèle un gros potentiel, est jeune. Rencontre avec des entrepreneurs qui ont osé se lancer.
Agriculture, journalisme, industrie minière, humanitaire: les drones suisses sont partout et la tendance n’est pas près de s’arrêter.
Deux spécialisations dominent les entreprises helvétiques: l’exploitation d’appareils civils à usage commercial de pointe et la mise au point de systèmes complexes et exigeants. En marge des usages militaires, aux enjeux spécifiques, il apparaît que peu de secteurs pourront résister à l’essor de cette industrie aux multiples avantages.
Depuis le milieu des années 2010, de nombreuses start-up ont émergé, souvent issues des écoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zurich. Cette conquête du ciel s’est accélérée ces dernières années. Grâce à un écosystème d’innovation très concurrentiel, la Suisse tire son épingle du jeu.
Sa relative avance repose aussi sur la collaboration étroite entre autorités et industrie via le partenariat Swiss U-Space Implementation (SUSI), sur son expertise en robotique et en microsystèmes, ainsi que grâce aux liens serrés entre recherche et entreprises.
La Suisse romande en première ligne
À Genève, Julien Parini, ingénieur-paysagiste, s’est initié dès 2015 à la navigation par drones dans le cadre d’un projet professionnel, d’abord en amateur. Constatant le potentiel, il fonde avec son oncle Drone GVA en 2019. «Nous étions assez précurseurs en Suisse et avons choisi un positionnement polyvalent», raconte-t-il.
«Déterminer quelles données collecter et, surtout, les valoriser, demande un vrai savoir-faire», ajoute-t-il. Ses clients en ont bien saisi la valeur, à mesure que le marché gagnait en maturité. Drone GVA a notamment décroché une commande de la RTS pour fournir des images aériennes dans une série consacrée à la police. Dans ce secteur, l’agilité est indispensable: les progrès technologiques exigent une mise à niveau constante. Drone GVA a ainsi investi dans un appareil très puissant, l’un des rares du marché à répondre aux conditions réglementaires pour survoler des zones densément peuplées.
Un secteur structuré
Secrétaire général de l’Association suisse de l’industrie des drones, Bart Slager confirme que son domaine est désormais considéré comme une technologie d’avenir, appelée à transformer l’économie et la société. Le rapport 2024 de l’association souligne la vitalité du secteur: 569 millions de francs de chiffre d’affaires (+7,4% sur un an) et six mille cinq cents emplois. L’arc lémanique concentre, avec Zurich, la plus forte densité de start-up. «Il ne faut pas craindre que ces robots volants détruisent des emplois. Au contraire, ils favorisent l’émergence de professions spécialisées à forte valeur ajoutée», plaide Bart Slager. En revanche, et c’est l’un de ses avantages, le drone se substitue à l’humain dans des contextes risqués ou difficiles d’accès: zones montagneuses, sites accidentés ou environnements souterrains.
Des solutions exportées
À Genève, la start-up DroneControl a développé des solutions logicielles sécurisées pour drones, destinées en particulier aux services de sécurité publique.
Active dans douze pays européens, elle propose une approche complète intégrant géolocalisation, diffusion en direct sécurisée, contrôle de vol et connexion en temps réel entre sites d’incidents et centres de commandement. «Notre mission est de fournir une solution logicielle complète pour la sécurité publique tout en libérant les utilisateurs de nombreuses contraintes administratives et techniques», résume son fondateur, Thomas Ingold.
Une attractivité convoitée
Signe du dynamisme du secteur, plusieurs PME suisses ont été rachetées par des entreprises étrangères, à l’image des sociétés lausannoises senseFly et Pix4D.
Profession instructeur de drones
Fondateur de Vertical Master, Stanley Schmitt a senti avant tout le monde le potentiel lié aux drones. En 2017, alors qu’il est encore salarié chez Caterpillar, ce commercial entame une réflexion pour identifier une reconversion professionnelle. «Je voulais trouver un domaine où je pourrais agir en pionnier. Or, à l’époque, il n’existait quasiment rien concernant les nombreux métiers du drone en Suisse, alors qu’ils touchent déjà une foule de secteurs. J’ai acquis les bases en parallèle à mes fonctions, puis décidé de me lancer.» Les débuts sont modestes. Il monte un site internet, acquiert un drone et engage un instructeur proposant quelques formations de base.
Très vite, les inscriptions affluent, mêlant une grande majorité d’amateurs à des professionnels désireux d’acquérir de nouvelles compétences. «Certains étaient persuadés que le pilotage de drones pouvait devenir un métier en soi. Or, ce n’est pas si simple. Le drone est un outil qui complète d’autres formations solides», avertit-il. Il insiste sur la diversité des usages: le drone est une plateforme capable de mesurer, d’imager, de collecter puis de traiter des données.
Entre 2018 et 2019, la start-up Vertical Master prend son essor et ouvre de nouvelles formations pour répondre à la demande. Stanley Schmitt décroche l’appui de Genilem et affine encore le positionnement et le marketing. L’offre, à la fois théorique et pratique, a d’abord été proposée en Suisse romande – notamment à Payerne – avant d’être étendue à la Suisse alémanique et au Tessin. Cette présence trilingue sur tout le territoire est un vrai plus: pour des grands comptes comme Swisscom, un prestataire unique formant dans les trois langues et dans les trois régions linguistiques facilite grandement la coordination.
Dès 2023, la Suisse, désireuse d’aligner son cadre avec les normes européennes en matière de pilotage de drones, amorce un tournant avec la montée en puissance des certifications. Vertical Master constate un regain d’intérêt de la part des professionnels, motivés par la mise en conformité. L’institut se positionne alors comme une référence fédérale. «Mes clients restent très variés et la base s’est élargie. Ils vont du cinéaste désireux de filmer en hauteur à l’agriculteur qui mise sur la technologie pour ses cultures, en passant par les métiers du bâti ou les archéologues. En Suisse, je perçois un fort besoin de professionnaliser le vol en montagne, avec toutes les exigences de sécurité que cela implique», résume Stanley Schmitt. Il est en plein test avec la station de Verbier dans le cadre de la gestion des remontées mécaniques, notamment.
Avec la démocratisation de l’intelligence artificielle et les nouveaux cas d’usage apparus en 2025, le fondateur de Vertical Master estime que l’usage des drones va encore s’étendre, notamment pour accélérer la prise de décision, améliorer la sécurité ou gérer de grands volumes de données. Il se montre toutefois réservé sur la distribution de colis à grande échelle: dans de nombreux cas, les coûts d’exploitation et la logistique à mettre en place dépassent encore les bénéfices. «Mais cela viendra un jour», conclut-il.
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