Pas de Suisse à dix millions d’habitants? Vraiment?
Christina Gaggini, directrice romande d'economiesuisse.
economiesuisse
Daniella Gorbunova
Publié lundi 07 juillet 2025
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#Politique
Cristina Gaggini, directrice romande d’economiesuisse, s’exprime sur l’initiative de l’UDC, Pas de Suisse à 10 millions! (initiative pour la durabilité), que le Conseil fédéral a recommandé de rejeter en mars 2026.
Cristina Gaggini, la décroissance, c’est forcément une idée de gauche?
Prôner la réduction de la production et de la consommation est essentiellement l’apanage de la gauche. Une frange de la droite conservatrice et souverainiste promeut aussi une forme de décroissance. Sans utiliser ce terme, elle critique de manière virulente le consumérisme, la mondialisation et le libre-échange : elle invite à la sobriété, à consommer local et à l’isolationnisme. Je pense à Philippe de Villiers en France, ou à Russell Kirk aux États-Unis.
Ou à l’initiative de l’UDC Pas de Suisse à 10 millions! (initiative pour la durabilité) aussi, par exemple?
Oui. L'initiative séduit, pour le moment, une partie de la population, dont des sympathisants du Centre et du Parti libéral-radical. Leur motivation n’a toutefois rien à voir avec la durabilité ou la décroissance, ni avec une quelconque volonté de réduire leur propre train de vie. Ils estiment nécessaire de limiter l’immigration, dans l’espoir d’en finir avec la pénurie de logements, les routes engorgées et les transports en commun bondés aux heures de pointe. Il appartient aux autorités de prendre des mesures convaincantes pour répondre à ces attentes légitimes en termes d’infrastructures. Mais ce n’est certainement pas en jetant par-dessus bord la voie bilatérale, qui nous profite depuis plus de vingt-cinq ans, que nous résoudrons ces questions.
Limiter la population peut pourrait être une réponse aux enjeux climatiques et à la préservation des ressources naturelles…
L’UDC elle-même avait combattu avec force, à nos côtés, l’initiative Ecopop Halte à la surpopulation – Oui à la préservation durable des ressources naturelles, qui proposait de limiter à 0,2 % par an (sur une moyenne de trois ans) l'accroissement de la population suisse attribuable à l’immigration. L’objet avait été rejeté par 74,1 % des Suisses et par tous les cantons. Il est donc d'autant plus paradoxal que l’UDC veuille, à présent, imposer un plafond maximal et arbitraire de dix millions d’habitants au nom de la durabilité. L'UDC a exprimé à plusieurs reprises son scepticisme face au réchauffement climatique. Jusqu’à affirmer qu’« il n’existe aucune raison valable de parler d’un état d’urgence climatique », dans son Argumentaire sur l’hystérie climatique (2019). Le parti a rejeté la révision de la loi sur le CO2 en 2021 et lancé un référendum contre la loi sur le climat et l’innovation qui visait la neutralité carbone d'ici à 2050. Par honnêteté intellectuelle, précisons qu’il existe un large fossé ville-campagne sur la question au sein du parti.
Quel est donc, selon vous, le véritable objectif des initiants?
Mettre un terme à la libre circulation des personnes avec l’Union européenne. Comme ce fut le cas de leurs deux précédentes initiatives (2014 et 2020). Seul l’emballage a changé. Le texte est limpide : dès que le seuil de dix millions d’habitants sera franchi, la Suisse devra résilier cet accord. En raison de la clause guillotine, cela entraînera automatiquement la fin des six autres accords d’accès au marché des Bilatérales I dans les six mois suivants. Le socle même de la voie bilatérale sera anéanti. L’accord Schengen-Dublin en matière de coopération policière et d’asile tombera aussi, provoquant davantage d’insécurité et un important afflux de requérants.
La Grande-Bretagne a renoncé à la libre circulation, pourtant l’immigration y a augmenté.
Cette initiative entraînerait-elle une décroissance économique?
Il est certain que cette initiative porterait de très importants préjudices à notre prospérité et à notre niveau de vie. Nos entreprises perdraient en compétitivité en étant privées de l’accès facilité au marché européen, où nous écoulons 50 % de nos exportations et auprès duquel nous nous approvisionnons très largement. Nous serions également confrontés à une sensible aggravation de la pénurie de main-d'œuvre, due au vieillissement de la population. Qui va faire tourner nos usines, labourer nos champs et s’occuper de nos malades? La Grande-Bretagne a renoncé à la libre circulation, pourtant l’immigration y a augmenté. Les travailleurs européens ont été remplacés par des ressortissants indiens, pakistanais et chinois. Enfin, en coupant les ponts avec son principal partenaire, la Suisse se trouverait isolée, alors même qu’elle est confrontée à de très vives tensions commerciales et géopolitiques. Il n’est pas raisonnable d'aggraver l’incertitude qui pèse déjà lourdement sur les entreprises, et donc sur l’emploi, ainsi que sur le financement des prestations étatiques et sociales.
Comment l’économie suisse peut-elle continuer à se développer tout en minimisant son impact sur la planète et en restant ouverte vers l’extérieur?
economiesuisse défend une économie de marché libérale, mais également durable. Les entreprises ont pris conscience des enjeux et multiplient les efforts, avec notre soutien et celui de nos membres, dont la Fédération des Entreprises Romandes, que ce soit en termes de processus de production, d’approvisionnement ou de distribution. L’industrie a réussi à diminuer fortement ses émissions de CO2 tout en augmentant les volumes, c’est remarquable. Nous devons continuer à miser sur l’innovation et le sens des responsabilités de tous les acteurs, y compris de la société civile. Et continuer à intégrer un chapitre sur la durabilité dans nos accords de libre-échange, pour inciter d’autres États à apporter leur pierre à l’édifice.
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