Franc suisse: la nouveauté qui a tout simplifié

La complexité du système monétaire antérieur au franc suisse, rendait les affaires d'un canton à l'autre plus difficiles.
La complexité du système monétaire antérieur au franc suisse, rendait les affaires d'un canton à l'autre plus difficiles.
Pierre Cormon
Publié samedi 15 novembre 2025
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#Monnaie L'introduction du franc suisse, en 1850, a permis de remplacer un système à la complexité déroutante et entraînant de nombreuses pertes de change.

Un petit pays dans lequel septante-deux entités différentes émettent de la monnaie et où l’on paie malgré tout souvent avec des devises étrangères? C’est la situation qui prévalait en Suisse avant l’introduction du franc, en 1850. Cette histoire inattendue est racontée dans un petit ouvrage de la collection Le savoir suisse: La naissance du franc suisse, de l’historien Jan Chiarelli.
A l’époque, les paiements quotidiens sont effectués avec de petites pièces, qu’on appellait le billon. Elles changent de canton à canton, et celles de l’un ne sont pas forcément acceptées dans l'autre. On ne dispose pas d’un système uniforme pour comparer la valeur des différentes monnaies. Les grosses transactions sont effectuées avec des pièces d’or et d’argent venant le plus souvent de l’étranger. «Leurs cours est fixé par un tarif qui évolue aussi bien dans le temps que d’un canton à l’autre», écrit Jan Chiarelli.

Pertes de change

Les transactions entraînent souvent des pertes de change, comme en témoigne un économiste genevois en 1825. «J’ai souvent ouï dire par nos voisins, qu’ici à Genève un étranger qui échangerait de grosses pièces d’argent contre de la monnaie, puis cette monnaie contre des pièces d’argent, s’il avait le bonheur de rencontrer dans tous les magasins d’un quartier, des gens assez complaisants pour lui faire cette conversion au cours légal et sans y rien gagner, il pourrait ne plus rien lui rester du tout avant qu’il fût au bout de la rue; c’est malheureusement vrai». Cette complexité freine l’investissement, non seulement de capitaux étrangers en Suisse, mais aussi d’un canton à l’autre. Or, monter dans le train de la révolution industrielle nécessite de lourds investissements. Ce système handicape également le tourisme. «Les touristes manifestent leur incompréhension face à l’organisation monétaire du pays et aux arnaques fréquentes qui en résultent», écrit Jan Chiarelli.

Intérêts divergents

Les milieux économiques poussent longtemps pour une réforme. Les velléités échouent les unes après les autres. Une monnaie purement suisse risquant de ne pas être acceptée à l’étranger, la nouvelle devise devra être arrimée à une monnaie déjà diffusée internationalement. Les différentes régions du pays et les différents secteurs de l’économie ont toutefois des intérêts différents.
Les uns exportent vers des pays où le franc français prédomine et veulent l’adopter comme référence. Les autres veulent attribuer ce rôle au florin des Etats du Sud de l’Allemagne, où se trouvent leurs débouchés. Certains trouvent leur compte dans le système en vigueur et ne veulent rien changer.

La création de l’Etat fédéral, en 1848, donne l’occasion de réformer le système. Le franc suisse est introduit en 1850, après de vifs débats. Les partisans de l’arrimage au franc français l’emportent. La valeur du franc suisse est indexée sur cette devise. On se protège ainsi des risques de change, tout en garantissant l’accès aux marchés internationaux.

Marché unique

«L’unification monétaire joue un rôle important dans la mise sur pied d’un marché suisse des capitaux», conclut Jan Chiarelli. «Avec une monnaie unique, le transfert de fonds dans le pays est facilité. En outre, la référence à une seule unité fixée dans la loi agit comme une garantie à même de rassurer les investisseurs suisses et étrangers. Ils sont désormais plus enclins à financer des activités à l’intérieur du pays.» Cette réforme facilite notamment la levée de capitaux pour la construction des chemins de fer, à partir des années 1850.


Une complexité déconcertante

Avant l’adoption du franc genevois, en vigueur de 1839 à 1850, mieux valait être doué en calcul pour faire des affaires à Genève, comme le montre l'exposition permanente sur le système monétaire genevois à la Maison Tavel. Le canton utilise un système duodécimal (en base douze), qui repose sur les sols, les deniers (douze sols) et les florins (douze sols, soit cent quarante-quatre deniers). Le florin est une unité de compte; il n'existe pas de monnaies le matérialisant. Une autre unité de compte, la livre courante, vaut quarante-deux sols (ou trois deniers et demi) en 1831. Le gouvernement tient ses comptes en florins, les banques en livres courantes. Pour payer de grosses sommes, on utilise principalement des monnaies étrangères, comme la piastre espagnole ou les écus du Piémont. Pour s'y retrouver, on utilise des tableaux de conversion. Quant aux voyageurs, ils sont souvent perdus.
«Ma femme et mes filles ayant parcouru vos rues marchandes sont entrées dans un magasin pourvu de tout ce qui est à l'usage des femmes; elles y ont fait quelques emplettes de peu de valeur, rubans, gants, etc.», raconte un voyageur à un ami genevois. «La marchande, en notant ce que cela coûtait, leur en a demandé le paiement en florins (dont aucune pièce n'existe - ndlr); ma femme ne comprenant pas leur valeur, et ne pouvant l'appliquer au détail de ce qu'elle venait d'acheter, s'est vue obligée d'ouvrir sa bourse et de prier cette Dame de se payer elle-même.»
Le passage au franc genevois, en 1839, simplifie le système: il n'existe plus que des centimes et des francs. Cette nouvelle monnaie préfigure le franc suisse, qui la remplacera onze ans plus tard.
 

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