Initiative sur les successions: interdiction de mourir

L’initiative des Jeunes socialistes menace la viabilité des entreprises et notamment leur transmission à la génération suivante.
L’initiative des Jeunes socialistes menace la viabilité des entreprises et notamment leur transmission à la génération suivante.
Pierre Cormon
Publié vendredi 17 octobre 2025
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#Imposition Taxer très lourdement les successions de plus de cinquante millions de francs, comme le proposent les Jeunes socialistes, ferait perdre des recettes fiscales considérables.

Les héritages et les donations des personnes physiques devraient être taxés à 50% par la Confédération, au-dessus d’une franchise de cinquante millions de francs. Cette taxation se superposerait aux impôts cantonaux sur les successions et donations, et son produit devrait être investi dans la lutte contre la crise climatique. C’est ce que propose l’initiative pour l’avenir des Jeunes socialistes suisses. Elle sera soumise au suffrage populaire le 30 novembre. Une succession de cent millions de francs serait ainsi taxée à hauteur de vingt-cinq millions de francs par la Confédération (les cinquante premiers millions étant exemptés du fait de la franchise). Cette taxation serait si lourde qu’elle reviendrait à instaurer une interdiction de mourir, comme le titrait un journal alémanique à propos d’une autre initiative sur les successions, il y a quelques années. Il y a plusieurs raisons de refuser celle des Jeunes socialistes.

  1. L’initiative est basée sur un malentendu Les initiants semblent croire que les «super-riches» disposent de leur fortune sur des comptes en banque ou des portefeuilles d’actions cotées et qu’il suffirait à leurs héritiers d’en vendre une partie pour s’acquitter de l’impôt. Ce cas existe, mais ce n’est pas le plus fréquent.
    Dans bien des cas, les «super-riches» concernés par l’initiative sont les propriétaires d’entreprises familiales et ce sont ces dernières qui constituent la plus grande partie de leur fortune.
    Elle n’est pas constituée de francs et d’euros, mais de bâtiments, de machines, de véhicules, de brevets et, surtout, de savoir-faire. En vendre une partie peut d’avérer extrêmement difficile: les spécialistes conseillent de s’y préparer des années à l’avance.
    Or, s’acquitter de la taxation proposée par l’initiative obligerait presque automatiquement les héritiers à vendre tout ou partie de l’entreprise.
  2. Elle mettrait en péril les entreprises familiales... Cette nécessité de vendre une partie de l’entreprise prendrait place au moment où celle-ci devrait être transmise à la génération suivante. Or, il s’agit d’une phase particulièrement délicate. Mal gérée, elle peut lui être fatale. «Il s’agit de l’une des opérations les plus ardues qui soient», écrivions-nous en 2016.
    S’il fallait vendre une partie des parts rapidement pour s’acquitter d’une dette fiscale, il serait d’autant plus difficile de trouver un repreneur partageant la même vision et les mêmes valeurs. Un mariage hâtif entre actionnaires aux vues divergentes débouche fréquemment sur des conflits qui peuvent mettre en danger l’entreprise.
    Dans bien des cas, les seuls repreneurs en mesure de racheter rapidement une entreprise à des héritiers aux abois seraient des acteurs spéculatifs surtout intéressés à sortir le plus de bénéfices possible. Le contraire des entreprises familiales, qui se caractérisent notamment par leur gestion prudente et leur vision à long terme. Est-ce vraiment elles qu’il faut fragiliser?
  3. ... et ferait perdre des recettes... Ce danger est toutefois assez théorique. La plupart des personnes concernées prendront des mesures pour éviter d’en arriver là. Pour cela, il y a un moyen très simple: déménager à l’étranger. On ne parle pas ici de l’entreprise, mais de ses propriétaires. L’impôt sur les successions est en effet prélevé au lieu de domicile. Il suffirait de déménager à quelques kilomètres, de l’autre côté de la frontière, pour y échapper. Vu l’enjeu – pérenniser ce qui peut être l’œuvre d’une vie et la transmettre à ses héritiers – les personnes concernées n’hésiteront guère à franchir le pas.
    Cela ne les empêcherait pas de continuer à diriger l’entreprise. Elles rejoindraient simplement la grande famille des frontaliers ou des travailleurs à distance. L’initiative, certes, demande que l’on prenne des mesures pour prévenir les manœuvres d’évitement fiscal et notamment les départs de Suisse. Cette exigence est inapplicable. Interdire aux gens de quitter la Suisse ou les taxer à ce moment est contraire à notre ordre juridique. Une telle mesure n’aurait aucune chance de passer au parlement ou de tenir devant les tribunaux.
    Rien ne pourrait interdire aux plus fortunés de partir. La Suisse perdrait non seulement l’impôt qu’elle comptait prélever sur leur succession, mais aussi une partie des autres impôts dont ils s’acquittent année après année, qui sont beaucoup plus stables et prévisibles: impôt sur le revenu, sur la fortune, etc. Les estimations sur les pertes varient, mais se chiffrent en milliards de francs. Ces impôts seront versés ailleurs. Nul doute qu’en cas de oui le 30 novembre, les bouchons de champagne sauteront dans les pays voisins.
  4. ... en démantelant la politique climatique Les Jeunes socialistes justifient ce coup majeur porté aux entreprises familiales par l’urgence climatique. L’argument ne tient pas. La transition énergétique est un investissement et comme tout investissement, elle requiert des fonds. Les maigres recettes du nouvel impôt ne suffiraient pas à compenser les pertes dues au départ des personnes visées. En faisant perdre des recettes aux collectivités publiques, on leur enlèverait de la marge de manœuvre. Il serait plus difficile de subventionner les rénovations, les réseaux de chaleur, la recherche, etc. L’acceptation de l’initiative aurait des résultats catastrophiques pour la politique climatique, ainsi que pour les autres politiques publiques.
    Bref, l’initiative est si excessive que les personnes concernées seraient très fortement incitées à quitter la Suisse, tout en y poursuivant leurs activités. Son acceptation irait exactement à l’opposé du but recherché, en tarissant les rentrées fiscales sans mettre un centime de plus à la disposition de la lutte pour le climat.

Les arguments du «oui» à la loupe

«Seule une toute petite part des entreprises serait touchée» Autant dire que l’on pourrait fermer l’autoroute Genève- Lausanne ou le Pont du Mont-Blanc sans conséquences sur le trafic, puisqu’ils ne représentent qu’une toute petite part des voies de circulation. La vraie question est de savoir ce que ces entreprises représentent en termes de rentrées fiscales, quelle est l’importance des propriétaires de ces entreprises pour l’économie locale. Et là, le tableau change. Les plus riches contribuent de manière massive aux rentrées fiscales. A Genève, sept cent onze contribuables (0,2% du total) génèrent par exemple plus d’un cinquième de l’impôt sur le revenu. Il suffirait qu’une petite partie de ces personnes quitte la Suisse pour creuser un trou massif dans les finances publiques.
 

«L’initiative permettrait de lutter contre les inégalités» Autant dire qu’en faisant payer dix fois plus cher ses clients fortunés, un restaurant réduirait les inégalités. Les clients fortunés iront tout simplement manger ailleurs. Le restaurant perdra du chiffre d’affaires et sera incité à augmenter le plat du jour pour compenser. La situation de ses autres clients ne sera pas améliorée, mais péjorée. L’initiative, en incitant fortement les plus gros contribuables à partir, réduirait fortement les rentrées fiscales. Les plus pauvres risqueraient d’être touchés de manière disproportionnée, car ils dépendent davantage des prestations publiques (subsides d’assurance-maladie, prestations sociales, etc.).

«On ferait passer les responsables à la caisse» Il est exact que les émissions de carbone croissent avec le revenu – on dispose de davantage de moyens pour consommer, ce qui engendre inévitablement des émissions. Toutes les personnes concernées ne disposent pas pour autant de yachts et d’avions privés, comme le laisse entendre l’argumentaire des Jeunes socialistes. La plupart du temps, leur fortune est immobilisée sous forme de parts d’une entreprise. L’initiative ne fournit par ailleurs aucun remède: en poussant les «super-riches» à s’installer ailleurs, elle ne fera pas baisser leurs émissions. Peut-être même les fera-t-elle augmenter s’ils choisissent de penduler pour continuer à diriger leur entreprise en Suisse tout en habitant à l’étranger.

 

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