En Suisse, les PME s’appuient encore sur des sources de financement traditionnelles. L’accès aux crédits bancaires n’est toutefois pas toujours facile.
Flavia Giovannelli
Publié mercredi 14 mai 2025
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#Capital
En 2025, le financement des entreprises en Suisse, et en particulier à Genève, oscille entre ancrage local et ouverture globale, prudence et innovation. Un contexte instable implique que l’accès aux liquidités est plus stratégique que jamais. Pistes de réflexion.
À Genève comme dans le reste de la Suisse, les entreprises composent avec un paysage financier en constante évolution. La disparition de Credit Suisse, acteur important pour la clientèle entreprises, redistribue les cartes, comme l’indiquait déjà un sondage mené en automne 2024 par Swissmem1. L’année 2025 entraîne d’autres changements, sachant que l’incertitude des marchés rend plus difficile toute planification. Longtemps dominé par le crédit bancaire et les fonds propres, le financement des entreprises se diversifie progressivement. Ce phénomène est porté par les mutations technologiques, les exigences en matière de durabilité et les besoins spécifiques des acteurs économiques. De l’avis des experts, la place genevoise reste plutôt conservatrice, évaluant les risques avec une prudence accrue depuis que le modèle too big to fail a montré ses limites.
Solutions agiles
Dans un pays où la stabilité reste une valeur cardinale, la majorité des entreprises – en particulier les PME – s’appuie encore sur des sources de financement traditionnelles. Fonds propres, lignes de crédit bancaires et leasing constituent les piliers de ce mélange. À Genève, cette tendance se trouve notamment dans les secteurs des services, de l’industrie légère ou du commerce de proximité. L’accès au crédit bancaire demeure central, mais pas toujours simple, voire impossible pour les plus petites structures de l’économie classique, contraintes de miser sur leurs ressources personnelles (famille et amis). L’expérience varie selon la taille, le secteur et le degré d’exposition internationale – notamment dans un contexte de tensions géopolitiques et de montée des exigences en matière d’innovation. À rebours des PME traditionnelles, un autre visage de Genève se dessine avec les besoins des jeunes pousses actives dans les domaines de la technologie, des biotechnologies ou des technologies de la finance. Ces start-up, en quête de croissance rapide, privilégient des solutions plus agiles par des levées de fonds en capital-risque, par l’accompagnement par des incubateurs locaux ou par un financement participatif. L’écosystème genevois se distingue par sa dimension internationale et ses ponts vers les milieux onusiens, les organisations non gouvernementales ou les acteurs de l’impact.
Cette diversité genevoise se retrouve également dans la structuration des financements, qui varie fortement selon les secteurs. Les entreprises de négoce international – particulièrement présentes dans la région – recourent à des financements complexes, incluant des lignes de crédit multi-devises et des produits de trade finance. À l’autre bout du spectre, les organisations non gouvernementales ou les entreprises à mission sociale s’appuient sur des subventions, des appels à projets ou du mécénat structuré.
Enfin, au-delà de leur taille, d'autres facteurs comme le poids économique, la capacité d’innovation ou la position dans la chaîne de valeur jouent un rôle tout aussi décisif dans l’accès au financement ou dans la capacité d’innovation. Si les micro-entreprises, souvent cantonnées à l’autofinancement ou aux crédits à court terme, peinent à diversifier leurs sources, les PME bénéficient de leviers plus nombreux, à la condition d'afficher des résultats solides. Quant aux grandes structures ou aux entreprises stratégiques, elles mobilisent des financements sophistiqués, souvent à l’échelle internationale, grâce à leur envergure, mais aussi à leur influence sur les marchés ou leur positionnement dans des secteurs clés.
Le point de vue de la FAE: l’ère de la sélection naturelle
La Fondation d’aide aux entreprises (FAE), à Genève, est un organisme de droit public qui soutient les demandes de financement auprès des établissements traditionnels afin de partager le risque. Cette intervention prend principalement la forme d'un cautionnement garantissant un remboursement en cas de défaut de l’entreprise ayant contracté une dette. L’an dernier, la FAE a ainsi sélectionné soixante-sept entreprises et engagé 16,9 millions de francs.
Depuis quelques mois, Patrick Schefer, directeur de la FAE, observe toutefois un léger fléchissement des prêts. «La politique de crédit aux entreprises n’a pas fondamentalement changé sur le plan formel. Dans la réalité, trouver un financement pour une entreprise est plus difficile qu’auparavant», constate-t-il.
Trois raisons principales expliquent cette évolution. D’abord, la fusion des deux principaux acteurs généralistes (UBS et Credit Suisse), qui entraîne mécaniquement davantage de refus pour des raisons de masse critique. Ensuite, le renforcement du cadre réglementaire, imposant désormais une couverture supérieure.
Enfin, un contexte international instable, avec une incertitude et une volatilité accrues sur les marchés boursiers, augmentant le niveau de risque. Selon Patrick Schefer, les entreprises solides - secteur d’activité sain, exposition limitée, direction stable - continueront à obtenir des crédits sans grande difficulté. En revanche, les PME plus fragiles, récentes ou actives dans des secteurs jugés risqués, rencontreront davantage d'obstacles, voire de refus. «Le paysage du crédit aux entreprises s’est radicalement modifié par rapport à la période antérieure à la pandémie. Auparavant, les banques faisaient jouer la concurrence en se battant pour attirer les clients. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Sur cinq dossiers susceptibles d’être pris, les établissements en reçoivent quinze, contre six auparavant», souligne-t-il.
Dossiers bien ficelés
Face à cette évolution, la FAE recommande aux PME de soigner leurs relations avec leur banque. La qualité du lien personnel et de bonnes perspectives à long terme pèsent davantage dans la balance, les établissements financiers cherchant à limiter leur prise de risque. Il est impératif de présenter un dossier soigneusement préparé, transparent et complet, reflétant avec fidélité l’activité de l’entreprise.
Les délais se sont également allongés. Il faut aujourd’hui compter environ un mois pour obtenir une réponse, positive ou négative. De plus, même un soutien de poids n’est pas toujours un argument définitif. «Avant, le fait d’être sélectionné par la FAE suffisait pour décrocher un crédit. Désormais, on voit des cas où cela s’avère insuffisant. Même si la situation de l’entreprise n’est pas forcément critique, c’est arrivé», avertit Patrick Schefer.
Autre élément de vigilance: les projets d’implantation à l’étranger, notamment aux États-Unis. Une entreprise locale, qui avait planifié une expansion outre- Atlantique depuis plusieurs mois, a vu sa demande de financement gelée dans l’attente d’une décision sur les droits de douane.
BIL Suisse, Genève: «Les besoins sont là»
Créée en 1856, la Banque Internationale à Luxembourg (BIL) est l’un des plus grands groupes bancaires du Luxembourg actif dans les activités de banque de détail, de banque privée et de banque des entreprises et des institutions. Présente en Suisse depuis 1985 dans les trois régions linguistiques, elle fête cette année son jubilé.
Lionel Pilloud, directeur de l’entité genevoise de la BIL Suisse, souligne les spécificités de l’établissement, soumis aux exigences combinées de la Banque centrale européenne et de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers. Le directeur confirme que la disparition de Credit Suisse a rebattu les cartes, offrant de nouvelles opportunités. «À la différence d’autres acteurs, qui montrent parfois peu ou pas d’appétit pour accompagner des opérations de corporate finance ou des implantations à l’étranger, la BIL Suisse est parfaitement en mesure de soutenir de tels investissements en Europe, où elle est active, pour autant que l’entreprise réponde à ses critères de sélection», précise Lionel Pilloud.
Le rôle de conseil est au cœur de la démarche de la BIL Suisse. «Nous privilégions les projets dans des secteurs que nous maîtrisons, afin d’évaluer les risques avec la rigueur de notre stratégie prudente. Nous avons également à cœur de construire des relations inscrites dans la durée, avec pour ambition d’accompagner la gestion patrimoniale de nos clients. Cela dit, la BIL est très rapide et réactive dans la prise de décision finale», souligne le directeur.
Parmi les opérations récentes menées par la banque, Lionel Pilloud cite le cas d’un entrepreneur de la région lémanique, actif dans un secteur en pleine expansion. Ayant atteint la limite de financement auprès d’une grande banque, il cherchait une solution pour poursuivre son développement à l’échelle européenne. «Il était essentiel pour lui de conserver sa longueur d’avance sur la concurrence», précise-t-il.
Quant aux attentes de la BIL envers ses clients, elles reposent avant tout sur l’instauration d’une relation durable, articulée autour d’une gestion discrétionnaire des actifs. Genève occupe une place stratégique dans cette dynamique de croissance: Lionel Pilloud prévoit d’y doubler les effectifs dans les mois à venir.
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