«Déménager, c’est aussi assurer des transferts industriels complexes»

Michel Balestra, président de l’Association genevoise des entreprises de déménagement.
Michel Balestra, président de l’Association genevoise des entreprises de déménagement.
Steven Kakon
Publié vendredi 19 septembre 2025
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#Interview Déménageurs: les coûts administratifs auxquels ils sont confrontés fragilisent l’équilibre des entreprises du secteur. État des lieux avec Michel Balestra, président de l’Association genevoise des entreprises de déménagement.

L’Association genevoise des entreprises de déménagements (AGED) incarne un secteur discret, mais vital pour la dynamique économique de Genève. Forte de six membres, ses entreprises groupent entre trois cents et quatre cents collaborateurs. Pour mieux comprendre les défis de la profession, nous avons été à la rencontre de Michel Balestra, président de l’AGED et administrateur de la société Balestrafic.

Quels sont les critères pour rejoindre l’AGED?
Pour rejoindre notre association, il faut exercer le métier du déménagement depuis au moins cinq ans et être reconnu par les membres de l’association comme un déménageur professionnel. Le déménagement est un marché de niche très spécifique, qui demande une grande expérience pour respecter chacun des points de la charte que nos membres signent au moment de leur adhésion.

Quelle est la part de marché des entreprises membres de l’AGED?
Cela est difficile à évaluer, car des entreprises non membres se font remplacer et disparaissent, mais je dirais que nos entreprises occupent environ 70% du marché.

Être déménageur, c’est quoi concrètement?
Une entreprise de déménagement intervient aussi bien pour des déménagements privés, qu’ils soient locaux, nationaux ou internationaux, que pour des transferts industriels ou administratifs. Ces différentes facettes du métier exigent un large éventail de compétences, indispensables pour répondre aux attentes des clients, car il ne s’agit pas simplement de transporter et de déposer des meubles, mais de fournir un service complet, rigoureux et maîtrisé.

Pouvez-vous en dire plus sur ces transferts industriels et administratifs?
Dans les déménagements d’industries, un raté peut coûter très cher au client. Le déménageur doit évaluer le centre de gravité des machines et emporter le matériel qui permet de les bouger. C’est un véritable métier. L’entreprise ne pourra pas produire pendant la période du déménagement et elle pourra recommencer à produire uniquement si aucune machine n’est abîmée. Les déménagements administratifs sont plus faciles, car il s’agit de déplacer des cartons de documents, des bureaux, mais aussi du matériel informatique, lui aussi souvent délicat. Le rapport de confiance avec le professionnalisme des déménageurs est déterminant pour qu’un déménagement puisse se réaliser. C’est pourquoi les entreprises de l’AGED, qui existent depuis de nombreuses décennies, ont une durabilité rare.

Quels diplômes sont-ils requis pour pouvoir exercer le métier?
Il n’existe pas de certificat fédéral de capacité spécifique pour le métier de déménageur. Les chauffeurs de poids lourds doivent impérativement détenir un permis poids lourd et suivre chaque année des formations de remise à niveau. Au-delà des compétences techniques, nos employés doivent faire preuve d’une intelligence spatiale développée en étant capable de visualiser précisément l’agencement du mobilier dans le camion pour optimiser le chargement. Je tiens également à souligner que les déménagements privés représentent souvent une charge émotionnelle majeure dans la vie d’une famille. Ils surviennent à des moments clé, comme un mariage ou une évolution sociale, mêlant espoirs et parfois angoisses. Intervenir dans l’intimité de nos clients demande donc un véritable savoir-faire humain.

Comment le numérique change-t-il la relation client et la logistique?
L’informatique est devenue incontournable dans le secteur du déménagement, notamment pour optimiser la gestion administrative. Dans notre métier où les marges sont très faibles, une administration trop lourde peut rapidement mettre en péril l’équilibre financier de l’entreprise. C’est pourquoi nous avons investi dans des outils modernes: suppression des ressaisies, automatisation des processus comptables, gestion des ressources humaines digitalisée. Mais sur le terrain, cela reste un métier d’hommes et de véhicules. Quel type d’emballage pour quels meubles? Quels sont les accès? Quelle est la taille de l’ascenseur? Des meubles? Tous ces éléments déterminent les ressources nécessaires: le nombre de personnes, la grandeur du véhicule, la durée de l’intervention et, donc, le prix. Ces paramètres ne peuvent pas être automatisés. Ils relèvent d’une expertise que seul un professionnel formé et expérimenté peut réellement évaluer.

Il existe pourtant du travail au noir dans ce domaine. Est-ce une concurrence pour les entreprises établies?
Il est vrai que n’importe qui peut publier un numéro de téléphone dans un média, louer un véhicule et proposer de déplacer des meubles à un tarif librement fixé avec un client. Pour autant, puis-je affirmer qu’il s’agit de travail au noir? Non, car je n’ai pas connaissance de leur situation. En revanche, ce qui est certain, c’est que les non-professionnels mandatés ne sont absolument pas en mesure de prendre en charge des opérations complexes, comme les transferts industriels. Et ils ne disposent probablement pas des assurances nécessaires pour couvrir des dégâts éventuels lors de ces opérations.

Pourquoi les marges sont-elles basses dans le déménagement?
’est d’abord une question de budget, celui que le client est prêt à consacrer à son déménagement. À cela s’ajoutent de nombreuses charges administratives qui menacent l’équilibre des entreprises. Par exemple, la Ville de Genève facture désormais le stationnement lors des opérations de déménagement et la Confédération applique une taxe poids lourds au kilomètre parcouru. Dans un marché fortement concurrentiel, ces coûts pèsent lourdement sur des marges déjà très réduites. Si la gestion financière de l’entreprise n’est pas rigoureuse, ces marges deviennent vite inexistantes, ce qui explique en partie pourquoi de nombreuses entreprises ont dû cesser leur activité.

La relève est-elle assurée?
Oui, nous avons assez de monde. Et étonnamment, les gens ont tendance à durer dans ce métier. Nous avons beaucoup de collaborateurs qui arrivent à l’âge de la retraite.

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