Le nucléaire veut se glisser dans le mix énergétique

Garantir la sécurité énergétique de la Suisse à long terme.
Garantir la sécurité énergétique de la Suisse à long terme.
Flavia Giovannelli
Publié samedi 15 novembre 2025
Lien copié

#Forum des 100 Indépendance de la Suisse sur le plan énergétique, accord avec l’UE et libéralisation du marché: ces questions ont montré la complexité de la situation.

Lors du Forum des 100, organisé par Le Temps le 23 octobre dernier, un débat était consacré à la stratégie énergétique de la Suisse. Il réunissait François Fellay, directeur général de Romande Energie, Amédée Murisier, directeur pour la Suisse chez Alpiq, et Franklin Servan-Schreiber, cofondateur de Transmutex, une start-up genevoise fondée sur une approche innovante du nucléaire. Actuellement, la Suisse poursuit la mise en œuvre de sa Stratégie énergétique 2050, adoptée après la décision de sortir progressivement du nucléaire. Ses objectifs principaux sont la réduction de la consommation d’énergie et le développement massif des énergies renouvelables. Le système a toutefois montré à plusieurs reprises ses vulnérabilités, poussant la Confédération à renforcer la sécurité d’approvisionnement à travers des centrales électriques de réserve, des mesures d’économie et des accords d’importation.

«Si nous voulons décarboner, il faut doubler la part de l’électricité, qui représentait environ un quart de l’énergie consommée en 2024», a rappelé François Fellay. Avec l’essor de l’IA, les besoins explosent: le président américain annonçait, le jour du Forum, la construction de nouvelles centrales pour y faire face.
Dans ce contexte, les négociations des Bilatérales III avec l’Union européenne revêtent une importance cruciale. Un accord sur l’électricité permettrait de stabiliser les échanges transfrontaliers, d’intégrer davantage les réseaux et de garantir la sécurité énergétique de la Suisse à long terme. «Ce pays est un nœud au cœur de l’Europe électrique. Elle est reliée au réseau interconnecté par quarante-et-une lignes transfrontalières qui permettent de gérer les situations de pénurie comme celles de surproduction», a rappelé Amédée Murisier. Selon lui, l’accord n’a qu’un but: définir comment nous serons connectésdans le futur. Il plaide pour que Swissgrid puisse participer pleinement aux plateformes de coopération européenne plutôt que de devoir prendre des décisions sans disposer de la photographie complète du système. Cela suffira-t-il?

Quintupler la part

Pour Franklin Servan-Schreiber, la réponse est clairement négative. «Nous pouvons continuer comme aujourd’hui à importer 70% de notre énergie. Mais si nous voulons renforcer notre souveraineté, il faudra augmenter la part du nucléaire et des énergies durables. Et si nous voulons vraiment décarboner, il faut quintupler la part du nucléaire», affirme le directeur de Transmutex.
Un changement de cap semble donc se profiler: en septembre dernier, le Conseil fédéral s’est prononcé pour une levée de l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires, prenant ainsi ses distances avec la loi adoptée en 2017, qui prévoyait l’arrêt progressif de cette filière. Reste une défiance légitime face à la question des déchets. Les nouvelles centrales, du type de Transmutex, s’y attaquent de front. Elles cherchent à réduire l’«héritage» laissé aux générations futures en recyclant une partie des déchets radioactifs. Leur principe repose sur une réaction contrôlée de l’extérieur, que l’on peut interrompre à tout moment, un peu comme si on disposait d’un interrupteur de sécurité. Résultat: moins de risques, moins de déchets et la possibilité de réutiliser une partie de la matière afin de réduire à la fois l’empreinte carbone et le volume de stockage à long terme. Des arguments qui ont séduit l’auditoire: une majorité, environ 55%, a voté en fin de débat pour un mix énergétique incluant le nucléaire. Ce résultat s’inscrit dans la même tendance que celui d’un sondage plus large mené en juin dernier par l’Association des entreprises électriques suisses, où 56% des répondants se disaient favorables à la planification de nouvelles centrales atomiques.

Le casse-tête de l’approvisionnement

Reste une autre question délicate, évoquée mais peu traitée: celle de l’approvisionnement en uranium enrichi. En misant sur des technologies comme celles de Transmutex, la Suisse réduirait partiellement sa dépendance aux chaînes d’approvisionnement classiques. Une part du combustible resterait importée de quelques rares États producteurs, dont la Russie, les États-Unis, la France et la Chine. Autrement dit, ces nouvelles approches limitent les risques sans les effacer, tout en maintenant le nucléaire dans un rôle de transition plus sûre que véritablement durable. Au terme du débat, une impression s’impose: la Suisse avance entre pragmatisme et incertitude, tiraillée entre ses ambitions de neutralité carbone et les réalités d’un approvisionnement sous tension. Le nucléaire, hier banni, semble désormais prêt à se réinviter dans le mix national, non comme une promesse d’avenir, mais comme un compromis avec le réel.

insérer code pub ici