«Le commerce extérieur est décisif pour la prospérité suisse»
L’accès aux marchés internationaux et l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales sont d’une importance capitale pour la Suisse.
Daniella Gorbunova
Publié jeudi 13 mars 2025
Lien copié
#SECO
Entretien avec Ivo Germann, à la tête de la Direction des affaires économiques extérieures du Secrétariat d’Etat à l’économie.
Nous sommes toutes et tous concernés par le commerce international. Quels sont à l’heure actuelle les défis de la Suisse en la matière? Les entreprises locales doivent-elles s’inquiéter de la situation internationale?
Des multinationales aux PME, en passant par les consommateurs et consommatrices, le commerce international est un sujet qui nous touche toutes et tous. Ne serait-ce que parce que pas moins de «sept employés sur dix en Suisse» travaillent de près ou de loin dans ce secteur, comme le souligne l'ambassadeur Ivo Germann, économiste de formation, à la tête de la Direction des affaires économiques extérieures du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) depuis deux ans.
Il nous a accueilli dans son bureau à Berne mercredi 5 mars pour parler du commerce international et de son importance pour les entreprises suisses — y compris pour les PME. Cela dans un contexte géopolitique plus imprévisible qu’auparavant. Impact économique de la guerre en Ukraine, droits de douane de l’administration Trump, etc. Autant d’eaux troubles, dans lesquelles la Confédération s’efforce de naviguer le plus habilement possible, rassure le haut fonctionnaire.
Ivo Germann, imaginez devoir expliquer, en quelques secondes, l’importance du commerce extérieur pour la Suisse au patron d’une PME qui n’exporte pas et qui ne s’intéresse pas vraiment à la question. Qu’est-ce que vous lui diriez?
Je commencerais par lui dire que la Suisse est un des pays au monde où le revenu par habitant est le plus élevé. Le commerce extérieur, dont je suis responsable au sein du SECO, est décisif pour la prospérité. Mondialement, nous sommes une économie de taille moyenne. Cela signifie que l’accès aux marchés internationaux et l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales sont d’une importance capitale pour la Suisse. De plus, il y a une forte probabilité pour que les PME locales, quelles qu’elles soient, et même celles qui n’exportent pas, entretiennent une relation commerciale avec d’autres entreprises qui, elles, exportent ou sont actives dans le commerce international. Pour vous donner un chiffre, sept employés sur dix en Suisse travaillent dans une entreprise active dans le commerce international des marchandises. C’est considérable, et cela signifie qu’on n’est jamais vraiment loin du commerce international, même si on n’est pas directement concerné. Les marchés étrangers sont à la fois des marchés de vente importants pour les produits suisses et des marchés d’approvisionnement centraux. Et puis, les importations intensifient la concurrence.
Une concurrence saine pour l’économie suisse?
Au SECO, nous encourageons cette concurrence, qui accroît la force d’innovation et la productivité. Non seulement les marchés ouverts génèrent de la valeur ajoutée et créent des emplois, mais ils profitent également au consommateur - et nous sommes toutes et tous des consommateurs - grâce à une plus grande diversité des produits et des prix plus bas. Pour les PME locales aussi, cette diversité contribue à la prospérité, car elle crée des conditions cadre propices, qui in fine nous permettent de rester l’un des pays où le revenu par habitant est le plus élevé.
On dit que la Suisse gagne plus d’un franc sur trois à l’étranger. Concrètement, ça veut dire quoi?
Le volume du commerce mondial a été, dans son ensemble, plus que multiplié par trois depuis le début du siècle. Cela signifie que le gâteau grandit. En tant que pays tourné vers l’exportation, la Suisse a bénéficié de cet essor ces dernières années. La forte augmentation de la part des exportations de biens et de services dans le produit intérieur brut suisse, qui a bondi de 51% à 75% entre l’an 2000 et 2023, est une indication en ce sens. Il faut aussi souligner que de nombreux produits suisses exportés contiennent des intrants importés - comme les produits chimiques ou pharmaceutiques qui sont, pour une large part, transformés par l’industrie suisse, puis réexportés. De même, l’industrie suisse est en ce moment un fournisseur notable de l’industrie automobile européenne. Nous ne sommes pas l’un des centres importants de production automobile, mais nous contribuons à cette industrie en lui fournissant certains biens nécessaires. De manière générale, le commerce extérieur contribue à hauteur de 40% au PIB de la Suisse.
Parlons d’un sujet qui risque de revenir au cœur de l’actualité dans les deux années à venir: les bilatérales III. Alors que l’Union européenne (UE) est déjà le principal partenaire commercial de la Suisse, qu’est-ce que ce paquet apporterait de plus?
Le Conseil fédéral l’a dit, lors de la fin matérielle des négociations en décembre 2024: l’établissement de relations stables et prévisibles avec l’UE, et en particulier avec les pays voisins, constitue une nécessité stratégique dans un contexte marqué par l’instabilité géopolitique et les crises mondiales géo-économiques. Dans cette conjoncture tendue, je crois qu’il est important pour les entreprises de pouvoir compter sur une certaine stabilité et une prévisibilité. C’est en ce sens-là que des relations stables avec l’UE sont extrêmement importantes. Des échanges commerciaux, une coopération scientifique et une gestion commune des défis actuels sont indispensables pour garantir la sécurité et la prospérité de la Suisse. Depuis près de vingt-cinq ans, la voie bilatérale a largement contribué au succès de notre pays. Après les bilatérales I et II, il est essentiel de poursuivre cette trajectoire en s’appuyant sur des relations apaisées et clarifiées sur le plan juridique.
Dézoomons un peu. Quelles relations la Suisse entretient-elle avec les deux grandes puissances économiques mondiales que sont les Etats-Unis et la Chine?
La Suisse entretient d’excellentes relations avec ces deux partenaires. Les Etats-Unis sont devenus la première destination des exportations suisses depuis 2021. J’ai été le chef de la division économique à l’ambassade suisse à Washington DC pendant trois ans, de 2019 à 2022. Il est intéressant de remarquer que, pendant plus de cinquante ans, notre premier partenaire pour les exportations de biens était plutôt l’Allemagne. Aujourd’hui, nous avons des relations commerciales très dynamiques avec les Etats-Unis. Et un peu moins dynamiques, mais toujours stables, avec l’Allemagne.
Quid de la Chine?
Elle est aujourd’hui le troisième partenaire commercial de la Suisse, toujours d’un point de vue bilatéral, avec un volume d’échanges bilatéraux s’élevant à 33 milliards de francs - pour donner un chiffre provisoire. Ce volume s’élève à 55 milliards de francs si l’on inclut le commerce de métaux précieux. Le commerce des services est également important, les investissements suisses en Chine s’élèvent à plus de 22 milliards de francs. À noter également que la Suisse est le premier pays d’Europe continentale à avoir conclu un accord bilatéral de libre-échange avec la Chine, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2014. Son optimisation est actuellement en cours. La Suisse souhaite améliorer les conditions d’accès au marché chinois pour les marchandises comme pour les investissements. Et nous voulons aussi renforcer les dispositions en matière de développement durable avec ce partenaire.
Le retour de Donald Trump au pouvoir marque le «grand retour du protectionnisme», titrent les médias de toutes parts. Une tendance qu’on observe aussi en Europe. Quid de la Suisse?
Au SECO, nous comprenons et prenons au sérieux les craintes liées au retour du protectionnisme. Cela dit, ces craintes ne se sont jamais matérialisées en Suisse, jusqu’à présent. Quant aux Etats-Unis, il faut rappeler que la Suisse a eu d'excellentes relations avec la première administration Trump — tout comme avec l’administration Biden. Les Etats-Unis sont très importants pour l’industrie suisse. Nous allons donc naturellement renouer le dialogue avec la seconde administration Trump sur ces bonnes bases. Nous sommes des partenaires naturels, car nous sommes deux pays qui valorisent la liberté d’entreprendre, la compétition, l’innovation technologique, les réglementations raisonnables. Cela même si nous suivons de près, évidemment, les différentes annonces faites par la nouvelle administration Trump en ce moment (quant aux nouveaux droits de douane, notamment - ndlr).
Donc vous sous-entendez que le protectionnisme de la nouvelle administration étasunienne pourrait (continuer à) épargner la Suisse, à l’heure où nos voisins européens tremblent face aux nouveaux droits de douane annoncés successivement?
Le Conseil fédéral analysera au fur et à mesure les mesures appropriées. Il y a effectivement des tendances mondiales qui ne nous plaisent pas. Et je ne peux pas dire que je suis absolument serein quant à la posture de la Suisse, mais il faut garder la tête froide et miser sur des approches éprouvées. C’est-à-dire s’engager en faveur d’un commerce ouvert, sans obstacles et fondé sur des règles. L’objectif reste de soutenir de manière optimale les acteurs économiques suisses, dont nous savons que les conditions cadre sont actuellement un peu sous pression.
L’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui siège à Genève, est directement mise à mal par la guerre commerciale ouverte par l’administration Trump et l’inflation des droits de douane qui en découle. Quelles conséquences pour le multilatéralisme?
La globalisation, incarnée pour certains par l’OMC et le système commercial multilatéral, faisait déjà l’objet de nombreuses critiques avant l’entrée en fonction du nouveau président étasunien. Dans ce contexte, la Suisse continue de défendre fermement ses principes et soutient le système commercial multilatéral en place - système qui s’est d’ailleurs établi en Suisse, au sein de la Genève internationale. Nous nous engageons à maintenir et à renforcer ce fonctionnement, aux côtés d’autres Etats qui partagent les mêmes valeurs. Mais cela ne signifie pas non plus que rien ne doit changer, dans un monde qui, lui, change: cela fait un certain temps qu’on parle de réformes, et la Suisse participe à ces discussions. En bref, je pense qu’on peut réformer certaines choses, mais globalement, le système en place continue de produire des résultats positifs pour la Suisse, ses acteurs économiques et sa population.
Etats-Unis, Chine, Russie, puis Europe... Toutes ces grandes puissances économiques sont aussi de grands blocs politiques. Comment un petit Etat non-membre de l’UE comme la Suisse navigue-t-il en solitaire, au milieu de ces géants?
On revient au cœur de la stratégie économique de la Suisse. Cette stratégie, approuvée par le Conseil fédéral en 2021, a identifié à l’époque déjà plusieurs défis: la concurrence de plus en plus forte entre les systèmes des différents Etats, la formation de blocs régionaux et l'affaiblissement croissant du multilatéralisme. Depuis, la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine a aggravé ces tendances. Pour faire face à ces défis, notre stratégie de commerce extérieur définit plusieurs champs d’action: il s’agit par exemple renforcer la résilience en créant des conditions cadre qui facilitent la diversification spécifique des fournisseurs et des acheteurs. Tout en continuant à participer activement au multilatéralisme, à développer le réseau de libre échange et à renforcer les relations bilatérales avec nos partenaires commerciaux les plus importants, actuels et futurs. Nous avons conclu cinq accords de libre-échange rien que l’année dernière.
Si vous aviez un message à faire passer aux patrons du pays, toutes tailles d’entreprises et branches confondues, en ces temps instables, quel serait-il?
À vrai dire, je ne crois pas qu’un fonctionnaire comme moi doive expliquer aux patrons comment gérer leurs entreprises. L’innovation ne vient pas d’un bureau à Berne! Ce sont les entreprises qui sont les moteurs de l’économie et de l’innovation. Je dirais simplement que la Confédération continue de s’engager pour leurs intérêts, en particulier lors de périodes mouvementées comme celle-ci. Nous sommes vraiment à l’écoute des besoins de l’entreprenariat, notre porte est toujours ouverte. Et je souligne aussi le fait que la marque suisse est toujours vue très positivement aux quatres coins du globe. Nous avons une image forte, qu’il faut continuer à défendre. n
En autorisant les services tiers, vous acceptez le dépôt et la lecture
de cookies et l'utilisation de technologies de suivi nécessaires à leur
bon fonctionnement. Voir notre politique de confidentialité.