Faut-il craindre la loi sur le devoir de vigilance social et environnemental?
Thomas Schnee
De Berlin
Publié lundi 14 avril 2025
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Monstre bureaucratique ou instrument d’avenir? En 2021, juste avant la fin du règne d’Angela Merkel, le Bundestag votait une loi, très combattue par les lobbies de l’économie, «sur le devoir de vigilance des entreprises sur leur chaîne d’approvisionnement» (Lieferkettengesetz, ou LkSG) dans le domaine des droits du travail, de l’homme et de la protection de l’environnement. Celle-ci s’applique depuis le 1er janvier 2023 aux entreprises de plus de trois mille employés et, depuis le 1er janvier 2024, aux entreprises de plus de mille employés. Elles sont désormais tenues d’identifier les points névralgiques de leurs chaînes d’approvisionnement via une analyse annuelle des risques et des questionnaires envoyés aux sous-traitants directs. Il leur faut ensuite mettre en place des procédures de signalement et de réduction des risques. L’entreprise n’a à se soucier des sous-traitants indirects qu’en cas de signalement motivé.
Contrairement à la nouvelle directive européenne sur le sujet (la CS3D de 2024), qui pourrait être prochainement allégée, les entreprises allemandes trop peu vigilantes ne pourront être traînées devant les tribunaux. Le législateur allemand a préféré les placer sous contrôle de l’Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations (BAFA) qui peut, en théorie, infliger des amendes allant jusqu’à 2% du chiffre d’affaires des contrevenants.
Le numéro un de la grande distribution allemande Edeka s’est vite distingué comme un récidiviste, avec plusieurs plaintes à son encontre. En 2023, au sujet d’un de ses fournisseurs de tomates espagnoles, repéré pour ses salaires trop bas et ses horaires trop élevés. Puis, à propos d’un sous-traitant équatorien de la chaîne bananière, chaud partisan du dumping social. Enfin, en février dernier, une nouvelle plainte a été déposée à cause des dérapages sociaux et environnementaux d’un producteur guatémaltèque d’huile de palme. Ce sont tous des sous-traitants indirects d’Edeka. «Dans ces deux derniers cas, Edeka nous a promis d’agir, mais nous attendons toujours. A défaut, nous nous sommes donc tournés vers le BAFA», explique la juriste Theresa Mockel, qui gère le dossier pour l’organisation non-gouvernementale allemande Europe Center for Constitutionnal and Human Rights et qui admet qu’avec jusqu’à vingt-cinq mille produits référencés, les chaînes de livraison d’Edeka ne sont pas les plus faciles à surveiller.
Si l’on se limite à cet exemple, extrême par ses dimensions, le contrôle des chaînes d’approvisionnement peut donner le tournis. Que le règlement soit allemand ou qu’il devienne bientôt européen, les partenaires sociaux s’accordent sur le besoin d’alléger les obligations de reporting. «Les changements de règlement entraînent des coûts supplémentaires considérables et des désavantages concurrentiels», écrit Kik, tête de file dans le discount textile. L’entreprise a investi «une somme à sept chiffres» pour se conformer aux exigences de la LkSG, a-t-elle communiqué. Pour sa part, l’armateur et logisticien Hapag-Lloyd estime qu’après des difficultés initiales dans la mise en œuvre, la loi a apporté «de la clarté sur les attentes en matière de chaîne d’approvisionnement socialement durable» et lui a facilité la mise en en place d’un système permettant d’identifier et de minimiser les risques de violations des droits de l’homme. En partenariat avec le prestataire IntegrityNext, la Fédération allemande des échanges matériels, achats et logistique a produit un sondage réalisé auprès de ses membres. Et, bonne surprise pour 2024, 51% des entreprises interrogées considèrent la loi comme utile pour initier une politique de durabilité, offrir une transparence accrue sur leurs réseaux (79%) et mettre en place une politique proactive de prévention des risques (68%).
En revanche, comme le montre le cas Edeka, le manque de transparence sur la situation des fournisseurs indirects reste l’un des points noirs du dispositif pour 47% des entreprises. En matière de pénalité, on notera enfin que sur la vingtaine de procédures traitées ou en cours, le BAFA n’a infligé aucune amende. «Notre objectif est de soutenir les entreprises dans la mise en œuvre de la loi. Nous nous considérons comme un partenaire de l’économie. Nous aidons et ne sanctionnerons que les récalcitrants», expliquait début 2024 le président d’alors du BAFA Torsten Safarik. Depuis, l’Office fédéral a aussi fait savoir qu’il ne vérifierait pour la première fois l’existence de rapports internes conformes à la LkSG qu’après le 1er janvier 2026. Au bout du compte, les entreprises allemandes semblent donc bien s’accommoder d’un «monstre bureaucratique» moins étouffant que prévu.
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