Hyperconnexion au travail: comment se prémunir des excès?
En Suisse, les règles en matière de durée du travail et de repos interdisent une disponibilité permanente du personnel.
Steven Kakon
Publié mardi 26 août 2025
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#Numérique
Face à l’infobésité et à l’utilisation exponentielle des technologies, des bonnes pratiques existent pour protéger sa santé mentale au travail et pendant son temps de repos.
Le numérique nous épuise. L’usage exponentiel des technologies au bureau accroît la charge de travail et ses conséquences sur la santé mentale des actifs, conclut l’Observatoire français de l’infobésité et de la collaboration numérique dans une synthèse parue le 26 juin et qui résulte d’une compilation d’études scientifiques.
Le numérique intensifie le travail et allonge le temps qui lui est consacré. En France, trois employés sur quatre estiment que leur travail devient plus complexe et 42% en attribuent directement la responsabilité à la transformation numérique. Ensuite, le numérique amène à consacrer toujours plus de temps à la gestion de l’information (répondre aux sollicitations, envoyer des demandes et des relances, coordonner son travail avec les autres) au détriment du reste. En Suisse, l’édition 2023 du Work Trend Index annuel de Microsoft montre que plus de deux tiers des employés jugent ne pas avoir assez de temps pour se concentrer sans être interrompu. Et plus de la moitié estime ne pas être en mesure d’accomplir toutes leurs tâches, au risque de ne plus bénéficier de suffisamment d'heures et d'énergie pour penser de manière innovante.
«Nous sommes amenés à réagir vite, car ne pas répondre immédiatement est souvent perçu comme un signe d’impolitesse», analyse Rafaël Weissbrodt, professeur à la Haute école de santé Valais. Selon lui, le travail à distance n’aide pas, car «on ne mesure plus les conséquences de l’hypersollicitation sur les autres».
Les collaborateurs reçoivent en continu des informations par e-mail, chat, applications et autres moyens. Sachant que l’«on ajoute une couche de technologies sans supprimer les anciennes, cela fait beaucoup», complète le spécialiste des questions de santé au travail. «Ce flux d’informations peut engendrer un sentiment de sollicitation permanente, une surcharge informationnelle, une intensification du travail, du stress, de la fatigue et une excitation cognitive trop importante», écrit Promotion Santé Suisse dans sa feuille d’information Transformation digitale et gestion de la santé en entreprise.
Rafaël Weissbrodt pointe l’importance d’avoir des chiffres sur le sujet au sein des organisations. «Les grandes entreprises mènent des enquêtes de satisfaction dans lesquelles il est possible d’ajouter des questions sur l’utilisation des technologies de communication.», Ensuite, il faut essayer de comprendre les raisons d’une hyperconnexion qui perdure en dehors des horaires de travail. «Souvent, cela ne se fait pas par plaisir. Des raisons dans le fonctionnement de l’entreprise peuvent favoriser ce type de comportement». L’éducation numérique joue aussi un rôle clé dans la gestion saine des communications professionnelles. A cet égard, à l’instar de Promotion Santé Suisse, Rafaël Weissbrodt recommande d’établir des règles de fonctionnement claires au sein des équipes, et partage plusieurs bonnes pratiques qu’il essaie d’appliquer au quotidien pour préserver son équilibre:
Définir des plages horaires dédiées à la consultation des e-mails, plutôt que de laisser l’application ouverte en permanence.
Désactiver les notifications instantanées pour réduire les interruptions et favoriser la concentration.
Ne pas installer les applications de messagerie sur son téléphone, sauf obligation. «Lorsque je ne suis pas au travail, je dois me connecter si je veux accéder à mes e-mails, ce qui prend du temps. Résultat: je le fais plus rarement.»
Différer la livraison des courriels, par exemple en programmant ceux rédigés le vendredi soir pour une livraison le lundi matin.
Limiter les destinataires en copie aux seules personnes concernées. Surtout dans les messages à tonalité conflictuelle.
Samuel Zäch, responsable de projets Gestion & Développement et Andrea Nussbaumer, spécialiste en communication chez Promotion Santé Suisse, répondent à nos questions.
Pouvez-vous donner des exemples de «bonnes pratiques» en matière de gestion des e-mails et de communication sur les plateformes telles que Teams et Slack, mises en place dans les organisations?
Les pratiques mises en œuvre dans les organisations sont aussi diverses que les organisations elles-mêmes. Certaines fixent des délais de réponse, par exemple trois jours pour un e-mail, un jour pour un message direct. D'autres travaillent avec des plages horaires dédiées: les collaborateurs peuvent bloquer une demi-journée par semaine dans leur agenda pendant laquelle ils ne répondent pas aux messages. D'autres encore organisent une sorte de service de piquet au sein de l'équipe. Il convient dans un premier temps d'analyser la situation, puis d'élaborer un équilibre sur mesure pour celle-ci.
Quelles recommandations donnez-vous aux employeurs pour limiter la pression de la connexion permanente sur leurs employés?
Facilitez les discussions au sein des équipes. Elles sont souvent bien placées pour évaluer le niveau de disponibilité nécessaire pour accomplir le travail de manière optimale. Peut-être n'est-il pas attendu que chacun réagisse immédiatement à chaque message. Cela peut réduire la contrainte.
En plus du dialogue, quelles politiques pourraient-elles être mises en place à l’interne pour prévenir l’épuisement lié au numérique?
Nous recommandons d'utiliser l’outil Job-Stress-Analysis de Promotion Santé Suisse, en ligne, qui mesure les ressources, les contraintes et le bien-être des collaborateurs tant au niveau individuel qu'au niveau des unités organisationnelles, puis d'élaborer ensemble des mesures ciblées. Nous sommes plutôt réticents à recommander des mesures générales sans analyse préalable. Les situations au sein des équipes, même au sein d'une même organisation, peuvent varier considérablement. Ce qui constitue une solution pour une équipe peut potentiellement aggraver la situation dans une autre.
Que pourrait révéler l’enquête effectuée par le Job-Stress-Analysis?
Elle pourrait par exemple mettre au jour que des collaborateurs d'une équipe ont du mal à se déconnecter mentalement du travail et qu’ils continuent à ruminer les problèmes rencontrés après leur temps de travail, ce qui nuit à leur repos. Une discussion pourrait révéler que les collaborateurs consultent encore leurs e-mails et leurs chats sur leur téléphone portable après leur temps de travail, ce qui rend impossible la déconnexion. L'équipe pourrait alors formuler des règles et des attentes en matière de disponibilité pendant le temps libre, ce qui pourrait alléger la charge de travail et améliorer la récupération.
Déconnexion: que dit la loi?
En Suisse, il n’existe pas (encore) de droit à la déconnexion des outils de travail numériques en dehors du temps de travail. Plusieurs motions déposées au Conseil national en vue de garantir un droit à la déconnexion ou un droit à l’indisponibilité pendant le temps libre ont été rejetées.
Doublon
Les raisons? Les règles en matière de durée du travail et de repos interdisent déjà une disponibilité permanente du personnel. La durée du travail correspond au temps pendant lequel le travailleur doit se tenir à la disposition de l'employeur (art. 13 OLT 1). Pendant la durée du repos, l'employeur n'a pas le droit d'exiger de pouvoir atteindre les travailleurs et ces derniers ont le droit de ne pas être joignables, sauf s'ils se sont engagés à se consacrer à un service de piquet temporaire pour d'éventuels événements particuliers, et ce dans le cadre des prescriptions légales (cf. art. 14 et 15 OLT 1). Le Service d’assistance juridique et conseils de la FER Genève ajoute que des violations régulières du droit au repos peuvent entraîner une atteinte à la personnalité et à la santé (art. 328 CO; art. 6 LTr). Les partenaires sociaux et les employeurs sont libres de réglementer ou non la question de la déconnexion.
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