Validité et rémunération d’une clause de non-concurrence

David Ternande
Publié vendredi 05 septembre 2025
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#Droit du travail Le Tribunal fédéral a récemment rendu un arrêt important concernant la validité d’une clause de non-concurrence et sa rémunération

Le Tribunal fédéral a récemment rendu un arrêt important1 concernant la validité d’une clause de non-concurrence et sa rémunération, laquelle, pour rappel, est facultative selon le droit suisse. Il convient de tirer plusieurs enseignements de cette décision lors de la rédaction d’une clause de non-concurrence.

Faits de la cause

T. a travaillé pour E. de mai 2006 à décembre 2021. En 2008, il a signé un nouveau contrat prévoyant une clause de non-concurrence assortie d’une indemnité rémunérant ladite clause. Selon l’article 13.1 du contrat, T. s’était engagé à «ne pas accepter, pendant une durée de deux ans, une activité directe ou indirecte pour une entreprise concurrente de l’employeur». Il s’était en outre engagé, «pendant ladite période, à ne pas ouvrir sa propre entreprise du même type, ni à prendre de participation ni à effectuer dans le domaine d’activité de l’employeur des affaires pour des entreprises tierces». Selon l’article 13.2, il avait été convenu que T. percevrait «pour la durée de la clause de non-concurrence» une «indemnité de non-concurrence correspondant à 50% du dernier salaire versé, hors bonus».
En juin 2021, T. a résilié son contrat pour fin décembre 2021 et a été libéré de l’obligation de travailler dès début juillet. E. lui a rappelé ses obligations contractuelles, notamment la clause de non-concurrence. En septembre 2021, E. a proposé une convention de résiliation que T. n’a pas signée, puis a notifié fin septembre qu’il mettait fin à la clause de non-concurrence et à l’indemnité la rémunérant pour le 31 décembre 2021.
En juin 2022, T. a saisi le Tribunal des prud’hommes concluant au paiement de l’indemnité de non-concurrence pour janvier et février 2022 s’élevant à 8400 francs par mois, plus intérêts à 5% l’an dès le 15 février 2022. Le Tribunal a rejeté la demande. En appel, la Cour zurichoise a partiellement donné raison à T. E. a été condamnée à lui verser 16192 francs bruts plus intérêts dès le 15 février 2022. E. a recouru au Tribunal fédéral contre cette décision.

L’absence de limitation géographique explicite

Le litige porte notamment sur (1) la validité de la clause de non-concurrence en l’absence de limitation géographique, (2) sur la possibilité laissée à l’employeur de résilier, de manière unilatérale, la clause d’interdiction de concurrence ainsi que l’indemnité prévue au titre du respect de cette clause et (3) sur l’imputation des revenus de T. à l’indemnité de non-concurrence. En ce qui concerne l’absence explicite de limitation géographique de la clause de non-concurrence, le Tribunal fédéral relève que celle-ci ne liait T. qu’à E., la société suisse du groupe et non à l’ensemble du groupe international. Ainsi, l’activité de E. se limitant à la Suisse, la portée territoriale de la clause devait logiquement se limiter au marché suisse, indique le Tribunal fédéral.
Celui-ci conclut que, même en l’absence explicite de limite géographique à la clause de non-concurrence, celle-ci reste convenablement limitée quant au lieu, conformément à l’article 340a alinéa 1 CO.

La résiliation de la clause indemnisant le respect de l’interdiction de concurrence

Concernant le renoncement à la clause de non-concurrence et à son indemnisation, le Tribunal fédéral rappelle que, sans clause expresse, l’employeur ne peut pas résilier une clause de non-concurrence onéreuse, ni avec ni sans délai, et qu’il ne peut pas davantage se libérer du paiement de l’indemnité par un simple renoncement à la clause. Cela découle de la nature de la clause de non-concurrence onéreuse, assimilée à un contrat bilatéral. En revanche, rien n’interdit aux parties de prévoir contractuellement une possibilité de résiliation en faveur de l’employeur, comme dans tout autre contrat bilatéral.
En conséquence, le Tribunal fédéral estime que E. ne pouvait pas résilier unilatéralement l’article 13 du contrat de travail de 2008.

L’imputation des revenus sur l’indemnité de respect de l’interdiction de concurrence

Au sujet de l’imputation des revenus de T. sur l’indemnité de non-concurrence, le Tribunal fédéral rappelle la position de la doctrine, laquelle relève à juste titre que l’indemnité de non-concurrence n’est pas un dédommagement, mais la contre-prestation de l’abstention de concurrence. Elle est due indépendamment du fait que l’ancien salarié perçoive ou non d’autres revenus pendant la durée de la clause, qu’il cherche activement un emploi, qu’il soit réellement entravé ou qu’il change de profession2. Il n’a donc pas à imputer non plus les revenus qu’il aurait omis de percevoir. Les indemnités de chômage ne sont pas davantage imputables. L’indemnité compense en effet une atteinte abstraite: la réduction des opportunités professionnelles sur le marché du travail due à la clause. Elle reste due sans qu’il soit nécessaire de démontrer une entrave concrète. Il en irait autrement uniquement si les parties avaient prévu contractuellement que l’indemnité de non-concurrence serve de garantie salariale pour compenser une perte de revenu. En l’espèce, les parties n’avaient pas convenu d’imputer les revenus de substitution sur l’indemnité. Dès lors, l’indemnité est entièrement due, selon le Tribunal fédéral.

Conclusion

Trois enseignements sont à tirer de l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral lors de la rédaction d’une clause de non-concurrence: (1) la nécessité de limiter clairement la clause quant au lieu afin d’éviter toutes incertitudes liées à l’interprétation du contrat, (2) l’impossibilité de résiliation de la clause et de son indemnité de manière unilatérale par l’employeur sans clause expresse prévue par le contrat et (3) l’importance de prévoir une clause d’imputation des revenus du travailleur si cela est souhaité par l’employeur.

1 Arrêt du Tribunal fédéral 4A-5/2025 du 26 Juin 2025.

2 ATF 101 II 277, consid. 1a.

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