«Traduire oui... mais autrement»

Flavia Giovannelli
Publié vendredi 05 septembre 2025
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#Evolution technologique Les traducteurs se sont toujours adaptés aux évolutions technologiques. L’arrivée de l’IA représente toutefois un nouveau défi.

S’il est difficile de prévoir quels domaines d’activité ou professions survivront à l’arrivée massive de l’intelligence artificielle (IA), les traducteurs et interprètes voient leur mandat évoluer. Avec l’émergence de logiciels comme DeepL ou Google Traduction, ces filières deviennent moins attractives. La faculté de traduction et d’interprétation de l’Université de Genève est passée de plus de cinq cent vingt inscriptions en 2022 à quatre cent cinquante en 2023 . Il est difficile de cerner l’état d’esprit des professionnels seniors, puisque ces métiers se distinguent souvent par leur travail solitaire et leur discrétion. Marianne Scheer, qui a fondé l’agence éponyme en 2003, raconte son parcours et livre quelques pistes.

Quel est votre parcours?

J’ai grandi en Suisse alémanique dans une famille germanophone et, très vite, j’ai ressenti le besoin de m’ouvrir à des horizons plus larges. Genève était l’un des rares lieux offrant une formation universitaire en traduction – c’est ce qui m’a séduite. Je suis restée dans la région, d’abord pour des raisons professionnelles, puis parce que j’y ai fondé ma famille. Comme j’avais décroché un brevet de marketing, j’ai d’abord travaillé au sein d’agences de communication: une partie de mes tâches relevait de ce domaine, l’autre consistait à assurer des traductions français-allemand, qui avait été ma branche principale.

Qu’est-ce qui vous a poussée à créer votre agence?

Très franchement, au début, pour des raisons personnelles: mon mari et moi avions pensé que je pouvais ainsi travailler depuis mon domicile et m’occuper de nos deux enfants. Rapidement, l’agence a trouvé ses clients et il a fallu grandir. C’est ainsi que je suis passée en société à responsabilité limitée, une condition nécessaire pour décrocher certains mandats importants. Ensuite, je me suis entourée d’un réseau complémentaire de traducteurs et d’interprètes, ce qui m’a permis d’atteindre une masse critique.

Quelle est votre spécialité?

Avec ma formation, mes premiers clients ont été des institutions publiques, comme l’État de Genève ou la Confédération. J’ai également travaillé pour des milieux associatifs, dans des domaines variés: nouvelles technologies, secteur médical ou d’alcools de haut de gamme, principalement là où un certain niveau de budget permet de dégager un travail de qualité.

Votre métier vous expose-t-il à la concurrence?

Oui, bien sûr. Le fait de pouvoir travailler librement depuis chez soi – bien avant la généralisation du télétravail – nous mettait déjà en concurrence avec des traducteurs étrangers. Mais si l’on veut assurer un niveau qualitatif, il faut connaître le contexte et les besoins précis des clients, comprendre leur fonctionnement et réagir de manière flexible. C’est ainsi que l’on garde ses mandats.

L’arrivée de l’intelligence artificielle et des traductions en un clic menace-t-elle votre profession?

C’est un fait, et j’en constate les effets, à la fois positifs et négatifs. L’IA produit des phrases correctes, exemptes de fautes et bien structurées. Mais cet avantage risque d’endormir la vigilance du lecteur. Dans certains cas, l’IA peut commencer à écrire n’importe quoi. Il faut donc une solide connaissance métier pour repérer ces risques. Cela redéfinit notre mandat: nous intervenons moins dans la première étape de traduction et davantage dans le soin à apporter au texte. Tout dépend de la finalité. Les textes destinés à rester, qui demandent un style soigné et un vocabulaire non stéréotypé, sont l’apanage des traducteurs humains. En revanche, tout ce qui relève de la communication de base est effectivement remis en cause par ces outils.

Vous baignez dans deux cultures, germanophone et francophone. Observez-vous des différences en termes de communication?

Oui. La langue maternelle ou celle que l’on apprend à l’école influencent la manière de réfléchir et de formuler des idées. Concrètement, les Suisses alémaniques sont plus simples et directs, alors que le monde francophone utilise davantage de circonvolutions. La politesse s’exprime différemment, notamment dans les formules de salutation. Il y a une couche sociale. Et on sait tous que les blagues en allemand fonctionnent rarement en français, même dans la publicité!

Avez-vous le sentiment d’exercer un métier vivant?

Oui, parce que les langues évoluent. Quand je retourne en Suisse alémanique, je relève des idiomes que je ne connaissais pas plus jeune. A force, cela remonte même dans les documents plus formels. Même en allemand, les textes de présentation sont aujourd’hui bien plus courts qu’à mes débuts.

Pensez-vous que votre métier a de l’avenir?

Ce métier a de l’avenir pour celles et ceux qui l’envisagent comme une compétence évolutive, au croisement d’autres expertises. Avec l’IA, la traduction n’est plus une fin en soi. Elle devient un levier parmi d’autres.

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