Allemagne: dix ans après la grande vague migratoire, l’intégration fonctionne
Thomas Schnee
Publié mercredi 24 septembre 2025
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Il y a dix ans, le 31 août 2015, Angela Merkel lançait son célèbre On va y arriver, au moment où affluait la vague de réfugiés en provenance de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak et d’Afrique. En 2015 et 2016, l’Allemagne a accueilli 1,2 million de demandeurs d’asile (dont 29% de femmes).
La phrase est depuis devenue un slogan utilisé à charge ou à décharge des politiques migratoires allemandes, dans un débat politique profondément polarisé. Ce qui compte est cependant de savoir à quel point les Allemands y sont arrivés.
En ce qui concerne l’intégration économique des migrants, l’Institut de recherche allemand sur le marché du travail et la formation professionnelle a opéré une plongée dans les statistiques nationales pour présenter une cartographie détaillée de l’intégration professionnelle des réfugiés arrivés en 2015 et 2016. Les chiffres sont clairs: ils montrent que l’intégration a été beaucoup plus forte que prévue. En 2024, le taux d’emploi de ce groupe était de 70%, soit le même niveau que celui de la population active allemande.
«L’intégration sur le marché du travail est particulièrement réussie chez les jeunes jusqu’à 45 ans. Au-delà, le taux d’emploi est nettement plus faible, même au fil du temps. Bien sûr, le lieu d’habitation, dans un Land économiquement fort ou faible a aussi un impact important», précise l’experte en migration Yuliya Kosyakova, à l’Université de Bamberg.
Les femmes réfugiées, freinées par le manque de structures d’accueil pour les enfants et un plus faible niveau de formation, n’affichent en revanche qu’un taux d’activité de 35% (48% pour les Allemandes).
L’essentiel est cependant là. Même si 34% de tous les réfugiés (non-actifs compris) sont encore dépendants de l’aide sociale, 90% des réfugiés salariés ont un emploi soumis à l’assurance sociale (92% pour la population totale) et 84% d’entre eux subviennent à la totalité de leurs besoins par leur propre travail. L’OCDE le souligne: l’Allemagne a fait mieux que la plupart de ses voisins européens en termes de structures d’accueil, d’enfants scolarisés, de cours de langue et d’accompagnement vers l’emploi. Ces bons résultats n’effacent bien sûr pas les difficultés et les crispations liées à l’intégration matérielle et culturelle des réfugiés dans un contexte de stagnation économique nationale et de déficits sociaux grandissants.
Moribond en 2015, le parti d’extrême-droite AfD a instrumentalisé ces peurs avec succès, via un scénario délirant de guerre civilisationnelle. Et l’arrivée de 1,65 million de réfugiés ukrainiens à partir de 2022 n’a pas arrangé les choses. Ces derniers ont immédiatement obtenu un permis de séjour, un permis de travail, l’accès à l’allocation minimum, etc. Soixante-sept pour cent des réfugiés ukrainiens sont des femmes venues avec leurs enfants. Malgré un niveau de formation supérieur, leur intégration dans le monde du travail est limitée et les communes peinent à gérer ce nouveau flux.
Selon un sondage de la Fondation Bertelsmann sur la Culture de la Bienvenue en temps de crise (2024), 58% des Allemands de l’Ouest estiment aujourd’hui que l’Allemagne a atteint sa limite d’accueil (+23% par rapport à 2021). Ils sont 72% à l’Est (+30%) à le penser. Face à cela, le gouvernement Merz a choisi de durcir le ton. Mais sans pour autant fermer réellement les portes du pays, car l’Allemagne ne peut se le permettre. Selon l’Institut für Arbeitsmarkt- und Berufsforschung, de nombreux secteurs ne pourraient plus fonctionner sans les travailleurs étrangers. C’est le cas du nettoyage industriel (37,4% de salariés étrangers), de l’agroalimentaire (34,3%), du bâtiment et des travaux publics (31,2%), du tourisme et de l’hôtellerie (28%), des transports et de la logistique (25,4%), etc. Le secteur de la santé n’est pas en reste. Sans les dix-sept mille médecins et aides-soignants d’origine syrienne, le système hospitalier allemand serait en panne. Et 15% des médecins en Allemagne sont étrangers (soixante-huit mille personnes). Malgré les discours, l’Allemagne reste donc un pays d’immigration assumée, avec un succès certain. Entre 2021 et 2023, le pourcentage de personnes naturalisées est passé de 2,1% à 7,5%; 25,7% de migrants ont déposé une demande et 65,4% ont l’intention de se faire naturaliser.
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