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Il est temps de réformer l’impôt sur la fortune

Olivier Rigot Economiste Publié jeudi 28 août 2025

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Dans la torpeur politique de l’été genevois, l’annonce du départ d’un banquier privé à la retraite pour des cieux fiscaux plus cléments a créé un électrochoc. Certains ont semblé découvrir que des pays européens, à l’instar de la Suisse depuis des décennies, tentaient d’attirer des grandes fortunes à des conditions fiscales attrayantes. D’aucuns y sont allés de leurs commentaires, fustigeant le manque de patriotisme de la part des exilés fiscaux, d’autres martelant que la fiscalité genevoise, particulièrement son impôt sur la fortune - le plus élevé de Suisse - était à l’origine de tous les maux.

À mon avis, la réflexion sur cette problématique est plus complexe qu’il n’y paraît. Premièrement, l’exil fiscal de citoyens fortunés genevois vers d’autres destinations n’est pas nouveau et les terres d’accueil sont nombreuses: Monaco, Dubai, île Maurice, Singapour, Italie, d’autres cantons suisses, Portugal et Angleterre jusqu’il y a peu. Personne n’a réellement mis en exergue l’inégalité de traitement régnant entre un citoyen étranger résidant au forfait et un retraité genevois de souche. Ce dernier a certainement effectué une grande partie de sa carrière à Genève et aura contribué durant sa vie active à créer de la valeur ajoutée pour le canton (emplois, impôts, dépenses de consommation et d’investissement). Le forfaitaire qui, rappelons-le, ne doit pas déployer d’activités lucratives, et le retraité genevois doivent faire fructifier leur fortune pour en tirer une certaine rente. Le retraité genevois paiera plein pot alors que le forfaitaire sera limité en termes d’impôts à payer au montant du forfait négocié quels que soient sa fortune et son éventuel accroissement au fil du temps.

Les nombreux articles parus cet été l’ont relevé: la facture fiscale peut atteindre 71,5% des revenus pour une personne fiscalisée au régime dit ordinaire. La gauche s’empressera de répondre qu’il s’agit de justice fiscale. La question, à mon sens, n’est pas là. Le paradoxe à mettre en évidence, observé depuis de nombreuses années, est que des Genevois de souche, impliqués depuis toujours dans la vie économique et sociale de la Cité, vendent leur propriété à Cologny, Vandoeuvres ou Collonge-Bellerive à un riche forfaitaire étranger qui n’a pas créé localement de valeur ajoutée et qui ne réside que quelques semaines par année dans le canton. Ces dernières années, celui-ci a défendu bec et ongles un système attrayant pour accueillir des forfaitaires (confirmé en votation populaire), mais il n’a rien fait pour retenir ses bons contribuables de souche. La vraie question que nos politiciens doivent se poser est de déterminer quelle politique ils entendent mettre en œuvre pour retenir ces contribuables historiques, une fois leur carrière professionnelle terminée.

Il est temps de mettre un terme à cette forme de schizophrénie. L’impôt sur la fortune est le véritable nœud gordien de la question. On pourrait imaginer différentes solutions pour retenir nos retraités genevois. La première serait de supprimer la taxation du patrimoine ou d’abaisser celle-ci au niveau des taux moyens pratiqués en Suisse. Une idée novatrice si la classe politique entend conserver une imposition des personnes physiques sur leur fortune serait de moduler le taux d’imposition en fonction de l’évolution des taux d’intérêt en francs suisses. Le raisonnement est le suivant: le rentier, qui a certainement pris des risques durant sa carrière en gérant son entreprise ou en investissant son épargne sur le marché des actions, par exemple, pour la faire croître au fil du temps, a besoin, une fois arrivé à la retraite, de revenus réguliers. La référence du taux d’intérêt sans risque, communément admise en Suisse, est celui des obligations à dix ans de la Confédération.

Pendant une très longue période, les taux d’intérêt des obligations émises par l’État fédéral tournaient autour de 4%. Un rentier assujetti à Genève, investissant tout son patrimoine mobilier en obligation fédérales, payait un impôt sur le revenu de son investissement ainsi que l’impôt sur la fortune, qui s’élève à environ 1%, soit un quart du revenu généré. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont à zéro, mais le retraité se voit toujours imputer un prélèvement de 1% sur son patrimoine au titre de l’impôt sur la fortune. Le professeur de droit fiscal Raoul Oberson martelait dans ses cours de droit fiscal qu’un impôt, quel qu’il soit, doit avoir une justification économique et que les prélèvements ne devraient pas frapper deux fois le même substrat fiscal. Nous le savons, dans la réalité, ce n’est de loin pas le cas. Si la classe politique et le peuple genevois entendent maintenir un impôt sur le patrimoine, le taux d’imposition devrait être adapté chaque année au taux de référence sans risque. On pourrait imaginer qu’il ne devrait pas dépasser un quart du taux sans risque; en l’occurrence, de nos jours, l’imposition de la fortune serait autour de 0,115% à Genève (moyenne des taux 10 ans depuis le début de l’année: 0,46%).

En conclusion, il est temps d’ouvrir un débat objectif sur le sujet, dénué de tout dogmatisme afin de conserver nos bons contribuables historiques. Ces derniers ont contribué ces quarante dernières années à développer la prospérité de notre canton. Si aucune réforme fiscale n’est adoptée, le risque que les baby-boomers genevois, une fois arrivé à la retraite, fuient le canton en masse va se concrétiser de manière très significative.