Réduire le temps de travail: solution ou impasse économique?

Dans l’esprit des décroissants, la diminution du temps de travail peut être accompagnée ou non d’une baisse de salaire, selon les choix de société, les politiques redistributives et le modèle économique mis en place.
Dans l’esprit des décroissants, la diminution du temps de travail peut être accompagnée ou non d’une baisse de salaire, selon les choix de société, les politiques redistributives et le modèle économique mis en place. pexels
Steven Kakon
Publié jeudi 14 août 2025
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#Travail La décroissance ne se contente pas de remettre en question la consommation à outrance, elle invite aussi à repenser notre lien au travail. Faut-il travailler moins pour vivre mieux et répartir l’emploi plus équitablement ou cette idée masque-t-elle des contradictions économiques majeures?

Et si le travail n'était plus au centre de nos vies? C’est le pari audacieux que lancent des théoriciens de la décroissance. L'idée défendue est simple: travailler moins pour dégager du temps libre, un temps qui pourrait être consacré à des activités non marchandes (bénévolat, liens sociaux, sport, éducation, etc.) en vue de sortir d’une logique purement productiviste. Elle a pour corollaire d’améliorer le partage de l’emploi.

À cet égard, arrêtons-nous sur la relation entre baisse du temps de travail et chômage. La France a instauré en 2000 le passage des trente-neuf heures aux trente-cinq heures de travail hebdomadaires avec l’intention de combattre le chômage. Une réforme ambitieuse qui devait créer sept cent mille emplois.

Dans les faits, bien qu’il soit difficile d’isoler les effets d’une politique économique donnée, l’Institut national de la statistique et des études économiques estime que les lois «Aubry» (du nom de la ministre du travail de l’époque, Martine Aubry) semblent avoir créé quelque trois cent cinquante mille postes, soit la moitié escomptée, avec un taux de chômage qui demeure élevé.

Pourquoi un tel écart? Ces mesures, dont l’objectif était la création d’emplois, étaient basées sur l'idée qu'il existe un nombre d'emplois fixe, une hypothèse largement contestée par de nombreux économistes. «L’emploi est une donnée en mouvement et non pas un gâteau dont les parts seraient partagées entre les actifs», résume l'Institut Montaigne. Selon le think tank libéral français, «lors de la mise en place des lois sur les trente-cinq heures, ce sont les allégements de charges sur les bas salaires qui, en abaissant de façon massive le coût du travail peu qualifié, ont été les véritables vecteurs d’emplois».

Diminuer les salaires?

Dans les faits, les trente-cinq heures ont en réalité plutôt été conçues dans une logique de croissance pour relancer l'emploi, dans la mesure où la réduction du travail ne s’accompagne pas d’une perte de revenus.

Sollicité, Rafael Lalive, professeur d’économie à l’Université de Lausanne, explique: «La France est passée de trente-neuf heures à trente-cinq heures à revenu constant. Le salaire par heure a même beaucoup augmenté. Or, c’est en diminuant les heures et le revenu mensuel que l’on 1200va créer des emplois».

Dans l’esprit des décroissants, la diminution du temps de travail peut être accompagnée ou non d’une baisse de salaire, selon les choix de société, les politiques redistributives et le modèle économique mis en place.

Alors que la décroissance suppose que la baisse des revenus disponibles engendre moins de consommation matérielle, peut-on réellement envisager de ne pas diminuer les salaires? Dans les pays où le chômage est élevé, moins de travail par individu implique d’embaucher davantage de personnes (par exemple, deux employés à mi-temps pour remplacer un poste à temps plein), ne risque-t-on cependant pas, au final, de maintenir le même niveau de production que celui que les partisans de la décroissance souhaitent justement faire baisser?

On ne peut pas créer des emplois et réduire la production en même temps.

«Oui, c’est une erreur de la pensée, on ne peut pas créer des emplois et réduire la production en même temps», confirme le spécialiste des questions relatives au marché du travail. Cela dit, la réduction du temps de travail aurait certainement pour effet d’éliminer les emplois inutiles et vides de sens, que l’anthropologue américain David Graeber décrit dans son livre Bullshit jobs.

Oppositions

Le débat sur la réduction du temps de travail est enflammé. Les opposants au projet citent fréquemment l'avenir du travail comme argument pour en contester la légitimité. Sur le plan moral, il lui est reproché de favoriser l'oisiveté.

Dans un article paru dans la Revue française d’économie en 1998, il est observé que «les opposants les plus résolus au processus engagé en France sont souvent favorables à l’extension du temps partiel, dont les modalités de financement sont “claires” (le salarié paye en général la quasi-intégralité de cette réduction). Il ne s’agit donc pas d’une opposition à la réduction du temps de travail, mais à l’intervention des pouvoirs publics en ce domaine».

Enfin, sur le plan socio-économique, le spectre d'une catastrophe sociale imminente est souvent brandi. La réduction du temps de travail impliquerait une baisse des salaires, or, «de nombreuses personnes ne peuvent pas se permettre de baisser leur salaire. Ces diminutions pourraient seulement toucher les gens qui vivent aisément», estime Rafael Lalive.

Pourrait-on compenser la perte de salaire avec la mise en place d’un revenu de base inconditionnel (RBI), refusé par le peuple en 2016? «Le RBI est très coûteux et donc très difficile à financer dans un contexte de décroissance. Pour pouvoir l’instaurer, il faudrait renoncer à trop décroître».

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