Eurojust est l'agence européenne chargée de renforcer la coopération judiciaire entre les États membres.
Pierre Cormon
Publié jeudi 08 mai 2025
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#Bilatérales III
Les autorités suisses peuvent participer à des enquêtes dans tout le continent grâce à un accord, méconnu, avec l’Union européenne.
Lorsqu’il s’est présenté à la police cantonale en octobre 2019, ce résident du canton de Berne ne se doutait sans doute pas qu’il allait déclencher une vaste enquête à laquelle collaboreraient une vingtaine de pays européens et qui donnerait lieu à des perquisitions à des milliers de kilomètres de là.
Le résident avait investi sur une plateforme en ligne. Elle lui permettait de suivre la soi-disant évolution de son placement et lui donnait accès à une centrale d’appels. Il s’agissait d’une escroquerie. Son argent, plutôt que d’être investi, a été empoché par des criminels basés en Ukraine.
Jusqu’en 2015, enquêter à l’autre bout du continent était laborieux. La police cantonale devait s’adresser à l’Office fédéral de la justice, qui lui-même devait solliciter les autorités étrangères par écrit – un juge suisse ne peut pas prendre directement contact avec ses homologues ukrainiens ou géorgiens, comme c’est possible dans quelques pays voisins. Cette procédure était considérée comme lourde et souvent inefficace.
Bureau de liaison
Depuis, la Suisse a ouvert un bureau de liaison auprès d’Eurojust, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale. Elle est pleinement intégrée à cette structure, qui permet aux pays membres de coordonner leurs actions dans des enquêtes pénales transnationales et de bénéficier de services de soutien. Un accord bilatéral a été signé en ce sens. Cette structure a permis aux pays impliqués de collaborer, ce qui a abouti à des perquisitions, arrestations et saisies en Ukraine puis en Géorgie, où les escrocs ont transféré leurs activités. Des policiers bernois ont pu accompagner les actions de terrain.
L’analyse des appareils saisis a montré que des dizaines de milliers de personnes ont été victimes de la bande, notamment en Suisse et en Allemagne, pour des dommages évalués à des centaines de millions de francs.
Frontières
Le cas illustre l’importance de la coopération judiciaire. Les criminels se jouent des frontières. La mafia calabraise Ndrangheta est par exemple soupçonnée d’avoir blanchi de l’argent au Brésil en le faisant transiter par des banques suisses. Des criminels sont soupçonnés d’avoir acheté de l’or au marché noir en Italie et de l’avoir fondu dans une installation clandestine à Zurich avant de l’envoyer en Turquie. Des pirates du groupe Lockbit ont rançonné des entreprises de plusieurs pays, dont la Suisse, à partir de la Pologne et de l’Ukraine.
Or, la police suisse ne peut pas enquêter en Pologne, pas plus que la police italienne ne peut perquisitionner en Suisse. Elles sont tenues de coopérer. Les différentes autorités suisses ont ainsi sollicité leurs homologues étrangères plus de trois mille fois en 2023.
Les pays de l’Union européenne ont décidé de faciliter cette coopération. L’intérêt de combattre le crime transcendant les frontières, ils autorisent les Etats tiers intéressés à profiter de la structure qu’ils ont mise en place. Cette volonté est incarnée par Eurojust, une agence créée en 2002. Des outils et un cadre permettant aux Etats membres de collaborer plus efficacement en matière pénale sont disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. L’agence peut les aider à préparer des demandes d’entraide, à créer et même à financer des équipes d’enquête communes, à organiser des journées d’actions auxquelles participent des autorités de plusieurs pays, etc.
La plateforme d’investissement frauduleux est loin d’être le seul succès auquel la Suisse est associée. Elle a participé au démantèlement d’un groupe de pirates exploitant des ransomewares en collaboration avec la France, l’Allemagne et la Roumanie. A celui d’un réseau de prostitution forcée avec la Hongrie. A celui d’un réseau de trafiquants de cocaïne albanais avec l’Italie. A la saisie de cinquante millions d’euros qu’une mafia de Palerme voulait blanchir au Brésil. Etc., etc.
Common law
Tout n’est pas parfait, loin de là. La coopération avec les pays qui, à l’instar du Royaume-Uni, connaissent un régime de common law, est très difficile, ce régime étant différent des systèmes de droit civil en usage sur le continent. «Certaines règles sont incompatibles», constate le Contrôle fédéral des finances. Heureusement, seuls deux pays membres d’Eurojust vivent sous un régime de common law: l’Irlande et Chypre.
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