Le champ de gaz de Snøhvit, en Norvège, est utilisé pour stocker du CO2 de manière pérenne.
Janter/creative commons
Pierre Cormon
Publié vendredi 23 mai 2025
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#Développement durable
Comme on ne parviendra pas à se débarrasser des énergies fossiles de sitôt, on étudie comment capter et utiliser le CO2 qu’elles dégagent.
Quelle est l’année où l’humanité a consommé le plus de charbon, de pétrole et de gaz naturel? 1992, celle où le terme de développement durable est entré dans le discours public? 2005, celle où les pays industrialisés se sont engagés à réduire leurs émissions de CO2? Ou 2015, celle où la communauté internationale s’est donné comme objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle? Aucune des trois, mon capitaine. Le pic de la consommation de pétrole, comme de gaz et de charbon, s’est produit en 2024. Certains pays sont parvenus à inverser la courbe, comme la Suisse. Elle a diminué son empreinte carbone par habitant1 de 30% en une vingtaine d’années. Globalement, la tendance est cependant à l’augmentation – notamment du fait de pays s’extrayant de la pauvreté.
Augmentation prévue
Les énergies fossiles représentent plus de 80% de l’énergie utilisée à l’échelle mondiale et leur consommation devrait encore augmenter, prédit l’Agence internationale de l’énergie. Les émissions de CO2 suivent logiquement le même chemin: elles n’ont jamais été aussi élevées que l’année dernière.
Si les énergies fossiles occupent encore une place si importante, c’est que, bien que désastreuses pour le climat, elles présentent de multiples avantages. Elles ont une densité énergétique très élevée – on obtient beaucoup d’énergie par litre ou par kilo. Elles sont faciles à manipuler, à stocker et à transporter. On peut les utiliser aussi bien sur les installations mobiles que fixes, petites que grandes. Leurs réserves sont abondantes. Les infrastructures et la chaîne de valeur nécessaire à leur usage sont rodées. Elles permettent de produire de l’électricité quand on en a besoin – pas quand la météo le permet.
Il est donc peu probable que nous nous défaisions prochainement de notre dépendance envers elles, même si c’est hautement souhaitable. Or, le dérèglement climatique fait déjà de nombreux ravages et le temps presse pour inverser la courbe des émissions. Comment y parvenir? Une approche longtemps négligée suscite un intérêt croissant. Il s’agit de capter le CO2 là où il est émis (usine, centrale thermique, station d’épuration, etc.), puis de le stocker ou de le valoriser de manière à ce qu’il ne puisse plus nuire au climat. Il ne s’agit pas de remplacer les énergies renouvelables, mais de les compléter en limitant les dégâts dus à la difficulté de se passer des énergies fossiles.
Vieille technologie
Cela fait un siècle que les compagnies pétrolières savent capter le CO2. Elles l’injectent notamment dans les puits d’hydrocarbures pour améliorer les taux de récupération. Les procédés traditionnels ont cependant de nombreux défauts.
Ils ne sont pas faciles à mettre en œuvre, notamment dans l’industrie lourde – isoler le CO2 de fumées industrielles où elle est mélangée à d’autres substances n’est pas une mince affaire. Ils sont chers: un franc utilisé pour capter du CO2 par leur intermédiaire pourrait être utilisé pour financer d’autres mesures ayant un effet plus marqué sur le climat. Ils sont adaptés à de grandes installations – pas aux petites sources d’émissions, comme les véhicules.
Recherches
De nombreuses recherches sont donc en cours, notamment en Suisse romande. Elles visent à développer des méthodes plus économes en énergie, moins chères et applicables également à petite et moyenne échelles.
Une fois la substance captée, il faudra la valoriser – plusieurs procédés industriels y ont recours, comme la production d’engrais – ou le stocker. Trouver des débouchés constitue un immense défi. Les quantités en jeu sont gigantesques: brûler une tonne de charbon peut produire de 1,6 à 3,2 tonnes de CO2, selon la pureté du combustible (un atome de carbone du combustible se lie à deux atomes d’oxygène de l’air). Or, l’industrie utilise actuellement cent cinquante fois moins de CO2 qu’on en émet chaque année dans le monde.
Question de débouchés
«J’ai travaillé dans la raffinerie d’une compagnie pétrolière internationale en Iran», raconte Masoud Talebi Amiri, fondateur de la start-up Qaptis à Ecublens (lire en page 7). «Elle était dotée d’une installation de captage du CO2. On la laissait le plus souvent éteinte, faute de débouchés rentables.» On cherche donc de nouvelles utilisations: fabrication de béton, de plastiques, de matériaux composites, de méthane vert, de carburants synthétiques, stimulation de la croissance de cultures sous serre, etc. Ce potentiel n’est cependant pas infini: les projections tablent sur un triplement ou un quadruplement des volumes actuels. C’est nettement insuffisant pour absorber tout le CO2 que l’on compte capter.
Stockage en sous-sol
La plus grande partie devra donc être stockée en sous-sol – ce qui requiert des conditions géologiques très précises. Il peut s’y transformer en un minéral stable en quelques années ou en milliers d’années, selon les cas. Au terme du processus, il est définitivement fixé et ne présente plus aucun danger pour le climat.
«D’un point de vue scientifique, ce qui est important pour la discussion sur le stockage du CO2 n’est pas le temps nécessaire à une éventuelle minéralisation, mais la durabilité du stockage», précise Stefanie Zeller, spécialiste communication auprès du Service sismologique suisse.
Norvège
La Norvège mise beaucoup sur cette approche. C’est elle qui a mis en service le premier site de stockage géologique du CO2, en 1996, sous la plancher de la Mer du Nord. Elle va bientôt franchir une nouvelle étape avec la mise en service du premier réseau transfrontalier de transport et de stockage sous les fonds marins, Northern Light. Il devrait permettre de traiter du CO2 provenant essentiellement de l’industrie allemande. Les capacités restent cependant modestes: 1,5 million de tonnes, dans un premier temps, puis 5 millions dans une seconde phase, soit moins d’un vingtième de l’empreinte carbone de la Suisse.
Consortium
Un consortium d’acteurs suisses, publics et privés, s’est également penché sur la question (projet DemoUpCARMA). Du CO2 émis par une station d’épuration bernoise a été capté et liquéfié. Deux options pour le stocker ont été testées. La première a consisté à l’envoyer en Islande pour l’injecter dans le sous-sol marin, où il devrait se transformer en minéral en quelques années. La seconde est de le stocker dans du béton (voir ci-contre).
Dans les deux cas, le bilan s’est avéré nettement positif: on capte de cinq à dix fois plus de CO2 qu’on en émet pendant le processus et il existe des marges d’amélioration. Les quantités traitées étaient cependant minimes.
Défi
Déployer des projets à une échelle suffisante pour avoir un effet significatif sur le climat représente un défi à plusieurs égards. Il faut affiner les technologies, construire des infrastructures, identifier des sites de stockage potentiels, surmonter les oppositions que l’approche peut susciter, trouver des modèles d’affaire viables, notamment. Enfin, il faudra que le captage du CO2 revienne moins cher que de le relâcher dans l’atmosphère. L’une des clés sera la taxation des émissions. Il doit être plus intéressant pour les émetteurs de revendre leur CO2 que de le relâcher et de payer la taxe. Les estimations sur le potentiel de ces approches varient énormément, mais il se chiffre en plusieurs milliards de tonnes à l’horizon 2050, soit une fraction non négligeable des émissions actuelles (environ trente-sept milliards de tonnes).
1 L’empreinte carbone prend en compte les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire, y ajoute celles générées par les produits importés et en soustrait celles générées par les produits exportés.
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