Passer d’indépendant à Sàrl recèle de nombreux pièges
Mieux vaut examiner la situation soigneusement avec un expert avant de se lancer.
Photo Bill Branson/wikimedia commons
Pierre Cormon
Publié jeudi 04 septembre 2025
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#Gestion
La transformation d’une raison individuelle en société de capitaux n’est pas toujours avantageuse: le processus doit être conduit de manière rigoureuse pour bénéficier des facilités offertes par la loi.
Pourquoi se faire taxer plein pot au titre de l’impôt sur le revenu alors qu’en société à responsabilité limitée (Sàrl), une partie du bénéfice peut être versé sous forme de dividende, imposé à un taux généralement beaucoup plus bas? Pourquoi cotiser à l’AVS sur l’entier de ses gains, alors que les dividendes ne sont pas soumis aux cotisations sociales? Ces questions, de nombreux indépendants se les posent et choisissent de transformer leur raison individuelle en Sàrl (ou plus rarement en société anonyme). Bien faite, la procédure peut prendre deux ou trois mois et coûter de huit à douze mille francs, frais de conseils compris, dans un cas simple. Elle peut aussi avoir des retombées financières positives.
Mauvaises surprises
Sauf que, si dans bien des cas, la transformation est avantageuse, ce n’est pas systématique. De plus, si l’opération n’est pas faite dans les règles, elle peut conduire à de mauvaises surprises. «Je traite des cas de transformation qui n’ont pas été effectués dans les règles environ deux fois par mois», remarque Emmanuelle Losmaz Poskriakov, administratrice de la fiduciaire Losmaz SA et présidente de la commission technique de la section de Genève de Fiduciaire Suisse. Mieux vaut donc examiner soigneusement la situation avant de se décider et se faire accompagner par un professionnel qualifié.
Dans quels cas vaut-il la peine d’envisager la transformation d’une raison individuelle en société de capitaux? «Quand le revenu qu’on dégage en tant qu’indépendant dépasse celui dont on a besoin pour financer son train de vie», répond Gilbert Anthoine, président de la Fiduciaire Revidor et de la section Genève de Fiduciaire Suisse. Si ce n’est pas le cas, l’effort et les frais engendrés risquent de ne pas en valoir la peine ou, pire, d’empirer la situation.
Réserves
Le bénéfice d’une raison individuelle est entièrement taxé au titre de l’impôt sur le revenu de l’indépendant à des taux progressifs qui, dans les tranches supérieures, peuvent être élevés. Les détenteurs d’une société de capitaux (Sàrl ou SA) peuvent en revanche en laisser une partie dans l’entreprise sous forme de réserves. Elle sera taxée à 14,7% au titre de l’impôt sur le bénéfice, soit souvent bien moins qu’au titre de l’impôt sur le revenu. On peut l’utiliser pour investir ou le distribuer ultérieurement.
a rémunération du salarié-actionnaire peut être répartie entre salaire et dividendes, ces derniers ne donnant pas lieu au prélèvement de charges sociales. Or, les cotisations AVS ne procurent plus de contrepartie directe à partir d’un certain seuil.
Règles strictes
Attention, cependant: les règles sont strictes. On doit s’octroyer à titre de salaire le montant qui correspond à ce qu’on gagnerait en étant employé par un tiers. Dévier de cette règle expose à être repris par sa caisse de compensation ou par le fisc. La transformation en société de capitaux a cependant de multiples autres incidences auxquelles on ne pense pas toujours au premier abord. Se rémunérer en partie par des dividendes diminue les cotisations de la prévoyance professionnelle. Or, contrairement aux cotisations AVS, elles procurent des contreparties directes et ouvrent des possibilités de rachat fiscalement intéressantes.
Cases différentes
L’impôt sur la fortune est calculé sur des bases différentes selon qu’on est en raison individuelle ou actionnaire d’une société de capitaux. «Les deux premières années, la transformation peut conduire à une hausse sensible de la taxation», remarque Emmanuelle Losmaz Poskriakov. «Les personnes concernées ne s’y attendent pas toujours.» C’est particulièrement le cas à Genève, où l’impôt sur la fortune est élevé et les règles permettant de le calculer appliquées de manière rigide. «Des entrepreneurs me disent tous les jours qu’ils aimeraient bien vendre leur entreprise au prix estimé par l’administration fiscale», remarque Gilbert Anthoine.
Apport financier
Pour envisager une transformation, la raison individuelle doit jouir d’une santé financière suffisante. «L’entrepreneur devra apporter au minimum vingt mille francs de capital pour créer sa Sàrl», remarque Gilbert Anthoine. Les actifs de la raison individuelle doivent donc dépasser d’au moins vingt mille francs les passifs – à moins que l’entrepreneur ne veuille réinjecter de l’argent. Et si son compte est chroniquement dans le rouge, l’opération ne pourra pas se faire.
Enfin, il existe un autre paramètre, plus intangible. «Gérer une société de capitaux est plus exigeant et demande une organisation plus poussée que gérer une raison individuelle», remarque Emmanuelle Losmaz Poskriakov. «On doit en particulier remplir deux déclarations d’impôt, une pour sa situation personnelle et une pour la société. On doit aussi établir une comptabilité dès le premier franc, alors qu’en raison individuelle, ce n’est nécessaire qu’à partir d’un revenu de cent mille francs.» La transformation n’est pas forcément conseillée à qui est fâché avec la gestion administrative et financière.
Déterminer si la transformation en société de capitaux en vaut la peine demande donc un examen minutieux de la situation. L’opération doit suivre des règles à la lettre, sans quoi on risque de tomber dans l’un des nombreux pièges.
Quatre des pièges à éviter
Le piège de la décision hâtive Transformer sa raison individuelle en société de capitaux n’est pas forcément avantageux. La réaliser sans un examen minutieux risque de conduire à de mauvaises surprises.
Le piège de la date mal choisie Le plus commode est de réaliser le transfert pendant le premier semestre de l’année, avec effet rétroactif au 1er janvier. Sinon? «On devra établir un bilan intermédiaire, remplir sa déclaration d’impôt personnelle en tenant compte de deux situations différentes, boucler le premier bilan de la société anonyme sur une année incomplète» répond Gilbert Anthoine. «C’est beaucoup plus compliqué.» l
Le piège de la procédure Une procédure permet depuis 2003 de faciliter la transmission du patrimoine de la raison individuelle vers la société de capitaux1. Elle permet notamment à tous les actifs (comptes en banques, matériel) et les passifs (emprunts, factures en suspens) d’être transférés d’un seul bloc de l’ancienne structure vers la nouvelle. C’est également valable pour les contrats. Faute de suivre cette procédure, tous les actifs et passifs doivent être transférés un à un, avec établissement d’un document pour chacun d’entre eux. Tous les contrats (assurances, fournisseurs) doivent également être transférés un à un, avec le risque que des contreparties en profitent pour vouloir les renégocier. Enfin, il arrive que des indépendants créent leur société de capitaux et oublient de dissoudre leur raison individuelle. Cela peut les mettre dans des situations très délicates face au fisc ou à la caisse de compensation.
Le piège de la poche unique Dans une raison individuelle, l’argent de la société et celui de l’entrepreneur se trouvent dans une seule poche. «Il peut puiser dans le même compte pour régler ses dépenses privées et celles liées à son activité professionnelle», explique Emmanuelle Losmaz Poskriakov. «Il est cependant recommandé, du point de vue organisationnel et comptable, d’avoir un compte professionnel uniquement consacré à l’activité indépendante, où seules les dépenses professionnelles pouvant être déductibles figurent.» En société de capitaux, les comptes doivent être strictement séparés. Il n’est par exemple pas question de régler une dépense personnelle avec la carte de l’entreprise. «J’ai connu beaucoup d’entrepreneurs qui n’en étaient pas conscients», poursuit Emmanuelle Losmaz Poskriakov.
1 La procédure est définie dans la Loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine.
Le processus
Bien analyser les avantages et les inconvénients d’une transformation, en prenant tous les aspects en compte (l’impôt sur le revenu, le bénéfice, la fortune, la couverture sociale, la gestion, etc.).
Si la société individuelle n’est pas inscrite au Registre du commerce, le faire, ce qui permettra de procéder au transfert de manière facilitée.
Dresser l’inventaire des contrats, des clients et des actifs et passifs (matériel, comptes en banque, dettes, etc.), en se basant sur le dernier bilan.
Faire préparer le contrat de transfert de patrimoine et le rapport de fondation de la nouvelle société par un notaire. Il est conseillé d’indiquer dans le contrat de transfert que celui-ci aura un effet rétroactif au 1er janvier (si le transfert a lieu avant le 1er juillet).
Faire auditer le rapport de fondation par un réviseur agréé. Il vérifie notamment que le capital de la nouvelle société est bien libéré, par exemple grâce à l’apport en nature des fondateurs.
Inscrire la nouvelle société au Registre du commerce et radier l’ancienne société.
Remplir un nouveau bulletin d’adhésion auprès de sa caisse de compensation.
Compter de huit mille à douze mille francs de frais, tout compris, dans un cas simple.
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